Le marché immobilier va mal, pénalisé par la hausse des taux d’emprunt et l’adaptabilité défaillante de l’usure. La production de crédits à l’habitat est en chute libre, une situation qui inquiète les professionnels depuis des mois et qui semble désormais sérieusement prise en compte par les autorités financières. D’après le journal Les Échos, le ministère de l’Économie pourrait assouplir les règles d’octroi en place depuis deux ans pour éviter l’asphyxie au marché du crédit immobilier.
Normes d’octroi du crédit immobilier
Fin 2019, pour prévenir une éventuelle surchauffe du crédit immobilier, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) édicte des règles visant à mieux encadrer le financement bancaire des achats immobiliers des particuliers. Au 1er janvier 2020, il est recommandé aux banques d’appliquer les consignes suivantes :
- Le taux d’endettement, appelé taux d'effort dans le jargon, est plafonné à 33% des revenus nets avant impôt.
- La durée de remboursement est limitée à 25 ans.
Un an plus tard, suite aux remontées du terrain, le HCSF revient sur ces règles pour les assouplir quelque peu :
- Le taux d’endettement maximum autorisé est rehaussé à 35% des revenus nets avant impôt, mais l’assurance de prêt immobilier est dorénavant comprise.
- La durée de remboursement reste à 25 ans, mais peut être poussée jusqu’à 27 ans en cas d’achat en VEFA ou dans l’ancien avec travaux de rénovation d’envergure qui retardent la jouissance du bien.
Au 1er janvier 2022, les règles montent d’un cran en devenant des normes juridiquement opposables aux établissements de crédit. Les banques doivent s’y conformer strictement sous peine d’amende. Elles bénéficient toutefois d’une marge de flexibilité à hauteur de 20% de leur production trimestrielle à destination de la primo-accession et de l’acquisition de la résidence principale.
Difficile accès au crédit immobilier en 2023
En deux ans, le contexte a fortement changé. Les taux d’emprunt au plancher ne sont plus d’actualité. La guerre en Ukraine a bouleversé les conditions monétaires. L’inflation s’envole depuis le printemps dernier et la Banque Centrale Européenne se voit obligée d’arrêter sa politique accommodante pour juguler une inflation à la dérive. La hausse des taux de la BCE en mars 2023 n’est sans doute pas l'épilogue du durcissement des conditions de refinancement auquel sont confrontées les banques de détail. Depuis mi-mars 2023, ces dernières se refinancent auprès de l’institution communautaire au taux de 3,50%, contre 0% avant fin juillet 2022.
En conséquence, le loyer de l’argent pour les particuliers est lui aussi devenu beaucoup plus cher. De 1% en moyenne fin 2021 (hors assurance emprunteur et coût des sûretés), le taux moyen sur 20 ans s’affiche actuellement entre 3,20% et 3,50%. La progression des taux d’intérêts va se poursuivre. Sont attendus des taux à 4% d’ici l’été 2023.
Les autorités financières ont commencé à mesurer l’ampleur du problème un peu tardivement en mensualisant le taux d’usure à partir du 1er février 2023. Historiquement révisés tous les trimestres, les taux d’usure ne parvenaient pas à suivre la hausse rapide et violente des taux d’intérêts. Incapables de dégager une profitabilité sur les nouveaux prêts, certaines banques ferment le robinet du crédit immobilier en décembre 2022.
La mensualisation du taux d’usure depuis février dernier offre toutefois une marge de manœuvre, mais elle est faiblement efficiente car conjuguée à des normes d’octroi qui constituent bel et bien un frein pour accéder au crédit, même pour les emprunteurs solvables, ce qui est l'illustration d’une intolérable aberration économique.
On constate en mars 2023 une explosion du nombre de refus de crédit immobilier à cause d’un taux d’endettement trop élevé. Les refus de prêt avaient considérablement augmenté en 2022 avec la dégradation des conditions d’emprunt, mais le phénomène s’amplifie en 2023. Le taux de dossiers recalés pour cause d’endettement outrepassant la norme est passé de 30% en janvier 2021 à 45% en mars 2023.
Vers un assouplissement des règles du HCSF
D’aucuns craignent un marché du crédit immobilier en phase de retournement en 2023 face à des banques qui deviennent de plus en plus frileuses à prêter, car pénalisées par le contexte monétaire. Certaines banques jettent même l’éponge. Axa Banque arrête le crédit immobilier au 7 avril 2023. Sur un an en janvier 2023, la production de crédits immobiliers plonge de 40% !
Les contraintes normatives imposées par le HCSF pourraient être assouplies dans les prochains mois. Bercy veut relancer la production de crédits à l’habitat et pourrait alors accepter de rehausser le taux d’endettement maximum dès lors que l’emprunteur répond aux critères de solvabilité. Un taux d'endettement à 35% n'a pas la même portée pour un emprunteur avec des revenus confortables et pour un autre qui gagne tout juste le Smic. La prise en compte du reste à vivre est essentielle, et pour l'heure, le régulateur n'en fait pas cas.
La durée maximale de remboursement pourrait elle aussi être allongée jusqu’à 30 ans. Dans Les Échos, Bercy a indiqué que le ministre de l'Économie est très attentif aux remontées de terrain et souhaite s’assurer que cette norme ne devienne pas un obstacle à l’accès au crédit de ménages pourtant solvables.
Des travaux d’évaluation sont en cours et si des changements relatifs aux normes d’octroi des crédits immobiliers sont effectivement décidés, ils seront annoncés lors de la prochaine réunion du HCSF en juin. La Banque de France a d'ores et déjà fait savoir dans un communiqué du merdredi 5 avril qu'elle s'opposerait à un assouplissement des règles d'octroi. La BdF siège au HCSF, il est donc difficile de prendre une décision sans son accord.