Tout durant l'année 2020, les banques ont dû appliquer les règles édictées par le Haut Conseil de Stabilité Financière qui visaient à mieux encadrer la distribution des crédits immobiliers. L'assouplissement décidé fin décembre dernier réjouit les professionnels, et devrait permettre de resolvabiliser certains ménages écartés en 2020. Pour autant, le reste à vivre n'est toujours pas considéré par les autorités financières comme un indicateur complémentaire du taux d'endettement.
Limiter le taux d'endettement et la durée d'emprunt
L'inquiétude et l’incompréhension des professionnels du courtage se sont exprimées dès l'annonce des recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) à l'automne 2019, mais l'instance est restée campée sur ses positions jusqu'au 17 décembre dernier. Les communiqués répétés des syndicats des courtiers, rejoints fin 2020 par d'autres acteurs du logement (promoteurs et agents immobiliers), ont démontré, chiffres à l'appui, la rigueur aveugle de ces règles sur le taux d'endettement et la durée d'emprunt, réclamant la prise en compte d'une notion tout aussi importante dans l'analyse de la solvabilité du candidat à l'emprunt que le taux d'effort : le reste à vivre, le grand oublié dans les consignes du HCSF.
L'instance a-t-elle été convaincue par cet argumentaire ou par l'obéissance scrupuleuse des banques ? Le constat est qu'elle décide d'assouplir les règles, en relevant le taux d'endettement de 33% à 35% et allongeant la durée de remboursement à 27 ans dans certains cas (prise en compte d'un différé de remboursement de 2 ans). En parallèle, le taux de dérogation à ce cadre passe de 15% à 20% de la production trimestrielle de crédits immobiliers à destination de la primo accession et de l’achat de la résidence principale. Quant au reste à vivre, il n'a toujours pas été mentionné par le HCSF.
Cet ajustement des règles d'octroi est salutaire pour remettre sur le marché une partie des exclus de l'année 2020, notamment les primo-accédants, souvent empêchés car sur le fil de l'endettement (faibles revenus, moindre apport), et les investisseurs, pénalisés par le nouveau calcul du taux d'effort (non prise en compte des revenus locatifs). Si les banques continuent d'appliquer sans discernement ces règles bien qu’amendées, on risque d'assister à des aberrations avec des emprunteurs à bons revenus et parfaitement solvables, confrontés à un refus car le taux d'endettement outrepasse légèrement le seuil recommandé.
Le reste à vivre, la notion oubliée qui irrite les professionnels
Dans l'étude de solvabilité des demandes de financement, les banques analysent systématiquement le reste à vivre, une notion qui n'est pas mathématique, mais qui découle du bon sens. Le reste à vivre n'a pas de définition légale ou juridique et peut donc être estimé diversement par les établissements bancaires ; il détermine la fraction des revenus qui permettra au ménage emprunteur de faire face à ses dépenses courantes (se nourrir, se vêtir, se déplacer, etc.), une fois les charges payées (mensualités de crédit(s), loyer, pensions diverses). Il est évalué selon la composition du foyer et la zone géographique où il réside. Le coût de la vie n'est évidemment pas le même partout en France, et le nombre de personnes vivant sous le même toit a une incidence sur les dépenses mensuelles de la famille.
On commence alors à soupçonner la perversité du calcul du taux d'endettement. À taux d'effort équivalent (33% ou 35% selon ce que la banque retiendra), un ménage emprunteur n'aura pas un niveau de reste à vivre identique selon qu'il perçoit des revenus confortables ou est salarié au Smic. Actuellement, les banques considèrent que le reste à vivre est décent s'il atteint les montants suivants :
- 750€ pour un célibataire
- 1 300€ pour un couple
- 250€ par enfant ou personne à charge.
Ces montants peuvent varier à la marge d'un établissement à l'autre en fonction de la politique commerciale, mais le reste à vivre est toujours un bon indicateur du niveau de vie du foyer, permettant de vérifier la faisabilité du projet immobilier et donc les capacités financières du ménage emprunteur. Logiquement, un taux d'endettement peut excéder le seuil de référence si les revenus de l'emprunteur sont élevés et que son reste à vivre est suffisant voire conséquent.
Le reste à vivre dans le cadre d'un crédit immobilier n'est pas le même que celui estimé par une commission de surendettement. Dans ce cas, le reste à vivre est défini par les articles L.731-1 et 731-2 du code de la consommation, et ne peut être inférieur au RSA, pondéré selon le nombre de personnes composant le foyer.
L'écosystème bancaire français a horreur du risque, surtout en matière de distribution de crédits immobiliers aux particuliers. Le taux de défaut de paiement est le plus faible d'Europe avec 1% de dettes impayées, grâce principalement aux garde-fous qui protègent à la fois les banques et leurs clients :
- taux fixes (plus de 90% des crédits distribués),
- garantie (caution, hypothèque, privilège du porteur de deniers),
- estimation du bien financé par le prêt,
- assurance emprunteur, la couverture qui intervient en cas de décès, d'invalidité ou d'incapacité pour cause de maladie ou d'accident de l'assuré.
Laissons les banques faire leur métier, et apprécier le reste à vivre au cas par cas sans être figé sur le taux d’endettement à 35%, d'autant qu'en cette période de crise économique majeure, elles vont redoubler de prudence dans la distribution des crédits immobiliers.