La règle des 35% de taux d’endettement est au cœur du bras de fer entre Bercy et la Banque de France. La première souhaite l’alléger, la seconde ne veut pas revenir sur cette norme en place depuis plus de deux ans, alors que la dette immobilière des ménages français est la plus élevée d’Europe. Problème, bon nombre de profils aisés qui pourraient décemment emprunter au-delà de 35% sont privés de crédit. L’immobilier est dans la tourmente, et cela n’est pas uniquement dû à l’envolée des taux d’intérêts.
Règles d’octroi du HCSF en vigueur en 2023
Édictées par le Haut Conseil de Stabilité Financière juste avant la crise sanitaire due au Covi19, les normes d’octroi s’imposent juridiquement aux banques depuis janvier 2022. Il leur est interdit de distribuer des crédits immobiliers si les deux règles suivantes ne sont pas respectées :
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Le taux d’endettement ou taux d’effort ne doit pas excéder 35% des revenus nets avant impôts et assurance emprunteur comprise.
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La durée de remboursement ne doit pas dépasser 25 ans (sauf exception jusqu’à 27 pour un achat dans le neuf – en VEFA – ou dans l’ancien avec travaux de rénovation engageant une dépense d’au moins 25% du montant de l’opération).
Face à un marché immobilier en pleine crise, pressé de tous côtés par la remontée des taux d’intérêt, le dysfonctionnement du taux d’usure, le maintien à un niveau élevé des prix des logements et le durcissement des normes environnementales, d’aucuns prêchent pour un assouplissement des règles d’octroi du crédit immobilier en 2023.
Crise de l’immobilier en 2023
Avant la mise en place des normes, un ménage pouvait emprunter plus car la charge de remboursement mensuelle restait identique sous le double effet de la baisse des taux et de l’allongement de la durée qui pouvait en résulter. Fin 2019, le régulateur a souhaité encadrer le crédit pour éviter une surchauffe dans un contexte de taux au plancher qui a eu pour vertu de dynamiser la demande.
La situation actuelle est bien différente et réclame de modifier le cadre réglementaire pour éviter que les normes deviennent un obstacle à l’accès au crédit de ménages pourtant parfaitement solvables. On assiste à un ajustement du marché qui se fait principalement par une baisse des transactions dans le neuf comme dans l’ancien. En témoignent les mauvais chiffres de la production de crédit : une note de la Banque de France publiée début avril 2023 fait état d’un repli de près de 40% sur un an en février 2023.
Ménages aisés privés de crédit immobilier
C’est dans ce contexte dégradé que le ministère de l’Économie s’est dit attentif aux remontées du terrain et souhaite relancer la production de crédits en révisant les normes d’octroi désormais trop restrictives car elles ne prennent pas en compte le reste à vivre. Une notion pourtant centrale en matière de crédit.
Pour un ménage avec des revenus aisés, il est possible d’aller au-delà des 35% de taux d’endettement, puisque le reste à vivre couvre largement les dépenses du quotidien. La règle de proportionnalité montre ses limites avec cet exemple :
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Avec un Smic à 1 383€ nets (à partir du 1er mai 2023), un ménage peut théoriquement consacrer 484€ par mois pour rembourser un prêt immobilier selon la règle des 35% d’endettement ; et il lui reste 899€ pour vivre.
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Un foyer qui gagne 4 Smic, soit 5 532€, peut rembourser 1 936€ par mois, et il lui reste 3 596€ pour assumer son train de vie.
Les emprunteurs avec des revenus confortables pourraient dédier plus de 35% de leurs revenus au remboursement d’un prêt immobilier sans renoncer à leur qualité de vie ni risquer une situation de surendettement. Mais pour l’heure, le reste à vivre est une notion ignorée par le régulateur français.
Depuis deux ans, on assiste à une explosion du nombre de refus de crédit immobilier pour cause de taux d’endettement trop élevé et le phénomène touche aussi les profils aisés en raison de la norme rigide des 35%.
Assouplir les règles d’octroi du HCSF
Qui dit moins de transactions, dit moins de rentrées fiscales pour les caisses de l’État via les frais de mutation communément appelés frais de notaire. Si Bercy souhaite alléger les règles pour contenir la crise du marché immobilier, la Banque de France ne l’entend pas de cette oreille. « Modifier ces normes de protection ne changerait pas le cycle normal du crédit immobilier mais risquerait de pousser bon nombre de ménages vers des situations de surendettement à durée longe et taux de crédit plus hauts », indique la BdF, qui ajoute qu’un assouplissement arriverait au « plus mauvais moment ».
À 67%, l’endettement global des ménages français est en effet supérieur au reste de la zone euro, mais il tend à se stabiliser. En février 2023, la dette immobilière totalisait 1 300 milliards d’euros, et représentait 53% du PIB (Produit Intérieur Brut) contre 15% au début des années 2000.