Les taux d’usure n’en finissent pas d’alimenter la polémique dans le domaine immobilier. Accusés depuis de longs mois par les courtiers de bloquer l’accès au crédit, ils sont désormais la cible des notaires, qui dénoncent, à juste titre, un « goulet d’étranglement » sur les prêts immobiliers. Outil de protection des consommateurs, l’usure est aujourd’hui facteur d’exclusion du crédit, et pendant ce temps, les prix immobiliers continuent leur progression.
Un marché immobilier au ralenti
Dans leur dernière note de conjoncture, les Notaires de France font le point sur l’état du marché immobilier. À fin août 2022, le nombre de transactions dans l’ancien s’est établi à 1 145 000 unités, soit un repli de 5,6% sur un an. En juin dernier, le marché s’était contracté de 3,7%. On observe ainsi une accélération dans cette baisse de régime. Les notaires pronostiquent 1,1 million de ventes pour l’année 2022, ce qui n’est pas en soi un mauvais millésime, au contraire. En 2021, année de tous les records, 1,17 million de transactions avaient été enregistrées, établissant une hausse de 15% sur un an.
Après quinze mois de progression, le marché est nettement moins dynamique, en particulier sur les mois de septembre et d’octobre où les notaires observent des délais de vente plus longs. La faute à la remontée des taux d’emprunt qui n’a pas faibli depuis fin février.
Autour de 1,1% en janvier, le taux moyen atteignait 1,70% en septembre et se situe désormais au-delà de 2% (hors assurance emprunteur et coût des sûretés). La hausse des taux diminue la capacité d’emprunt des ménages, mais elle n’est pas le seul facteur qui freine l’activité. Le coupable est identifié depuis des mois : le niveau trop bas de l’usure.
Les taux d’usure ferment l’accès au crédit
Après les courtiers et les banques, c’est au tour des notaires de clouer au pilori le système français des taux d’usure. Face à l’augmentation brutale et continue des taux d’intérêt, les professionnels du crédit avaient, dès le mois de juin dernier, alerté la Banque de France et le ministère de l’Économie sur les risques de blocage du marché immobilier en raison d’une méthode de calcul trimestrielle des taux maximum légaux incapable de réagir à cette évolution. Les courtiers avaient même manifesté devant la Banque de France le 20 septembre pour dénoncer un mépris de leur profession et réclamer des mesures d’urgence pour éviter un arrêt de la production de crédits à l’habitat.
La hausse des taux d’usure au 1er octobre avait entrouvert la porte du crédit à bon nombre de candidats recalés les semaines précédentes pour cause de TAEG au-delà du seuil légal. Un répit de courte durée, puisque les taux d’emprunt ont poursuivi leur course en avant. Aujourd’hui, les taux d’usure ne freinent pas l’accès au crédit, ils le ferment purement et simplement. Sur les durées les plus longues, les taux d’intérêt sont actuellement autour de 3%. En novembre 2022, les taux sont au plus haut depuis 7 ans ! Avec un taux d’usure fixé à 3,05% sur les durées de 20 ans et plus, il est illusoire d’intégrer tous les frais exigés pour l’octroi du financement, autres que les intérêts.
Les banques commerciales sont de plus en plus réticentes à prêter fin 2022, certaines ne distribuent plus de crédit immobilier en attendant que la situation se normalise. D’autres proposent à leurs clients des prêts à taux variable, accessibles à des taux plus faibles que les prêts à taux fixe, mais plus chers au final car soumis aux variations des taux, en dépit du verrou de sécurité offert par les taux capés. La chute abyssale du nombre de prêt de septembre 2022 témoigne de l’épineux problème des taux d’usure.
Le marché se heurte au dysfonctionnement réglementaire de l’usure, un outil de protection nécessaire du consommateur, qui se révèle aujourd’hui un « outil de raréfaction, voire d’exclusion du crédit, y compris pour de bons profils qui n’atteignent pas le taux d’endettement maximal de 35% », selon les termes des notaires.
Ces derniers dénoncent un ajustement des taux d’usure insuffisant ou trop espacé dans le temps, à un rythme décalé de la hausse des taux débiteurs, créant ainsi « un goulet d’étranglement qui complique paradoxalement l’accès au crédit immobilier et exclut donc, de fait, certains ménages ».
Le taux d’usure, l’épine dans le pied des emprunteurs
À cause de la stagnation de l’usure, impossible de faire avancer son projet immobilier. Selon les notaires, le taux d’usure plane comme une épée de Damoclès sur 18% des rendez-vous et dans 19% des dossiers, la problématique liée à l’usure met en danger la concrétisation de la transaction. Dans les offices notariaux des grandes métropoles, le sujet de l’usure est plus que central, puisqu’il phagocyte environ 95% des projets immobiliers.
Le marché immobilier français est confronté à une situation aberrante, où les taux d’intérêt réels sont très largement inférieurs à l’inflation (6,2% sur un an en octobre), mais le crédit verrouillé par un dispositif légal inadapté. Alors qu’ils pourraient devenir propriétaires en s'endettant à moindre coût et se protéger ainsi contre une inflation en roue libre, les ménages français n’ont d’autre choix que de rester locataires et d’assister, impuissants, à la chute de leur pouvoir d’achat. Il est encore prématuré d’espérer une réforme des taux d’usure en 2023, même si le ministre du Logement Olivier Klein s’est déclaré tout récemment favorable à des changements.
La contraction de l’activité entraîne celle des prix immobiliers. Au deuxième trimestre sur un an, les prix des logements anciens ont augmenté de 6,8%, contre 7,3% le trimestre précédent. Sur la base des avant-contrats à la fin de l’année 2022, les prix vont continuer de décélérer et enregistrer une progression annuelle de 5,7%.