Facteurs de blocage du crédit immobilier depuis des mois, les taux d’usure vont sans doute faire l’objet d’une réforme en 2023. Face à la recrudescence des refus de prêts, le ministre du Logement Olivier Klein semble favorable à une modification du mode de calcul de l'usure. Des discussions vont prochainement s’engager avec la Banque de France.
Des taux d’usure inadaptés à la réalité
Chaque trimestre, la Banque de France définit les taux d’usure applicables aux crédits immobiliers et aux prêts à la consommation. Ces taux représentent les limites que les banques commerciales ne doivent pas dépasser lors de l’octroi d’un financement. S’agissant du prêt immobilier, les taux d’usure sont calculés sur la base des TAEG moyens accordés le trimestre précédent, auxquels on ajoute un tiers, et s’appliquent selon la durée de remboursement.
Les taux d’usure des crédits immobiliers aux particuliers pour le quatrième trimestre 2022 sont :
- 3,03% pour les prêts d’une durée inférieure à 20 ans
- 3,05% pour les prêts d’une durée de 20 ans et plus
- 2,92% pour les prêts à taux variable
- 3,40% pour les prêts relais.
Non seulement les taux d’usure reposent sur des données étalées sur trois mois, mais ils stagnent durant tout un long trimestre, ne tenant pas compte d’une éventuelle évolution des taux d’intérêt entre-temps. En cas de remontée sensible de ces derniers, l’usure n’est plus en phase avec la réalité du terrain.
C’est la situation à laquelle sont confrontés les candidats à l’emprunt immobilier depuis plusieurs mois. La vive hausse des taux d’intérêt vient se heurter au plafond de verre de l’usure, provoquant le redouté effet ciseau qui ostracise même les profils les plus solvables. Résultat, près de 45% de refus bancaires, non pas à cause d’un taux d’endettement supérieur à la norme autorisée (35% des revenus nets avant impôt, assurance emprunteur incluse), mais d’un taux maximum légal en fort décalage avec les taux débiteurs du moment.
Pour bien comprendre le couperet opéré par la réglementation, il faut rappeler que le taux d’usure est l’expression du TAEG maximum, indicateur du coût final d’un crédit immobilier qui contient obligatoirement tous les frais liés à l’obtention du financement :
- le taux débiteur soit les intérêts d’emprunt
- les frais de dossiers
- la garantie (hypothèque, privilège du prêteur de deniers ou caution)
- les primes d’assurance emprunteur.
Le cas échéant, viennent s’ajouter les frais d’ouverture et de tenue de compte, les parts sociales (en fonction de l’établissement prêteur), la commission du courtier, si sa mission subordonne l’octroi du prêt, et l’expertise du bien selon l’exigence de la banque.
Bien entendu, ce n’est pas le rôle protecteur des taux d’usure qui est critiquable mais la méthodologie de calcul aujourd’hui obsolète.
Revoir le mode de calcul des taux d’usure
On parle tant des taux d’usure et de la problématique qu’ils engendrent dans un contexte marqué par l’augmentation brutale et continue des taux d’intérêt depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. De 1% (hors coût assurance de prêt immobilier et coût des sûretés) fin décembre 2021, les taux atteignent aujourd’hui en moyenne 2,30% sur la durée de 20 ans. Dans l’intervalle, le taux d’usure sur cette maturité est passé de 2,41% à 3,05%. Le delta est 130 points de base contre 64 : les taux d’intérêt ont donc progressé deux fois plus vite que l’usure !
Témoins des difficultés vécues par les ménages emprunteurs, les courtiers ont alerté les autorités à maintes reprises et ont même manifesté le 20 septembre dernier devant la Banque de France pour faire bouger les lignes et mettre un terme à une aberration française : les conditions d’emprunt sont toujours favorables à l’achat immobilier, mais le crédit n’est pas accessible à cause des taux d’usure.
Plus de crédits immobiliers, cela signifie :
- plus de transactions,
- un marché de la construction à l’arrêt avec les conséquences sur l’emploi qu’on peut imaginer,
- des ménages obligés de rester locataires, alors que l’offre locative va se tarir par manque de logements,
- un pouvoir d’achat en baisse, déjà sous pression avec l’inflation, alors que le crédit est un rempart contre cette même inflation grâce aux mensualités fixes sur une longue durée, contrairement aux loyers indexés sur les prix à la consommation.
Les institutions du pays semblent avoir compris l’enjeu de la situation. Interviewé par le média BFM Business mardi 25 octobre, le ministre du Logement Olivier Klein s’est déclaré ouvert à des discussions avec la Banque de France pour voir si le mode de calcul du taux d’usure sur une base trimestrielle n’est pas trop long et identifier également d’éventuels autres freins comme le taux d’endettement.
Des courtiers avaient suggéré il y a quelques semaines de retirer l’assurance du calcul du TAEG étant donné que son coût dépend du profil de l’emprunteur et s’avère donc très variable en fonction des risques incarnés. La loi Lemoine a par ailleurs renchéri le coût de l’assurance emprunteur en instaurant la fin de la sélection médicale sous certaines conditions : elle offre un meilleur accès à l’assurance de prêt mais les tarifs sont en hausse, en moyenne de 20% chez tous les prestataires. Plus récemment, les banques ont émis l’idée pour accélérer la hausse des taux d’usure en 2023 de prendre en compte les offres de prêt immobilier plutôt que les crédits réellement accordés.
La balle est dans le camp de la Banque de France, mais l’urgence est de mise car les taux de novembre 2022 sont déjà proches de l’usure et promis à de nouvelles hausses d’ici la fin de l’année et courant 2023. Il est probable qu’on voit bientôt des taux à plus de 3% ! Si les taux d’usure n’évoluent pas en adéquation, le marché de l’immobilier sera durablement paralysé. Souhaitons que la réforme de l'usure ne devienne pas l'Arlésienne du crédit immobilier.