En moins d'un an, les taux d'intérêt des prêts immobiliers ont doublé, une progression spectaculaire imputable au contexte économique et monétaire dégradé, et qui, malheureusement, a vocation à continuer. Toutefois, ce n'est pas tant cette hausse inédite qui perturbe le marché immobilier que les taux d'usure, dont les effets bénéfiques de la révision du 1er octobre sont déjà oblitérés.
Poursuite de la hausse des taux d'intérêt
Depuis mars dernier et le déclenchement de la guerre en Ukraine, les taux d'emprunt immobilier sont repartis à la hausse. La remontée de l'inflation fin 2021 laissait déjà subodorer un mouvement haussier, mais la situation géo-politique a accéléré le phénomène. Autour de 1% (hors assurance prêt immobilier et coût de sûretés), le taux moyen sur la durée classique de 20 ans dépasse allègrement les 2%. La nouvelle hausse des taux en octobre 2022 s'est davantage creusée en une dizaine de jours, avec une surenchère de 30 à 40 points de base.
Actuellement, on s'endette autour de 2,20% à 2,30% sur les maturités de 20 et 25 ans, des taux moyens accordés aux bons dossiers. Pour les autres, les offres de prêt sont bien moins généreuses. Et ce n'est pas près de s'arrêter ! Entre la course folle de l'inflation qui exerce une forte pression sur les banques centrales et l'envolée de l'OAT 10 ans, les banques commerciales sont obligées d'ajuster rapidement leurs barèmes de taux.
Dans le sillage de la Fed (banque centrale des USA), qui a très nettement relevé ses taux directeurs, la Banque Centrale Européenne se voit contrainte de rehausser elle aussi ses propres taux pour juguler l'inflation et retrouver une parité €/$. Après une première hausse de 50 points de base fin juillet dernier, la BCE a ajouté 75 points début septembre et prévoit 25 points additionnels en deux phases, le 30 octobre et le 15 décembre. Le taux de refinancement pour les banques commerciales se situera au mieux à 2% en fin d'année, contre 0% depuis dix ans.
En parallèle, le rendement du taux obligataire de l'État français sur 10 ans (OAT 10 ans) a atteint son niveau le plus haut depuis 2013 (autour de 2,80%). Autant de raisons qui font que les taux d'intérêt augmentent si vite en 2022.
L'usure, toujours l'usure !
Le problème ne vient pas de la hausse des taux d'emprunt, mais des normes drastiques imposées aux banques depuis deux ans par le Haut Conseil de Stabilité Financière et de la réglementation de l'usure. Pour mémoire, le HCSF a édicté des règles d'octroi devenues juridiquement contraignantes en janvier 2022 :
- le taux d'endettement ou taux d'effort ne doit pas excéder 35% des revenus nets, avant impôt, assurance de prêt immobilier incluse ;
- la durée de remboursement est plafonnée à 25 ans (jusqu'à 27 ans pour un achat dans le neuf ou dans l'ancien avec gros travaux quand la jouissance du bien est postérieure au déblocage des fonds).
Les banques sont donc obligées de se conformer à ces règles sous peine de sanction administrative, et elles s'y tiennent, tout en ayant la possibilité d'y déroger à la marge pour la primo-accession. Soumises à cet encadrement rigoureux, elles sont par ailleurs bornées par l'usure, un système destiné à protéger les emprunteurs contre d'éventuels abus bancaires.
Le taux d'usure, qu'il ne faut nullement supprimer, doit désormais répondre à de nouvelles logiques compte tenu du blocage incompréhensible qu'il maintient sur le marché depuis de longues semaines. La révision des valeurs pour le quatrième trimestre 2022 a offert un court répit aux ménages emprunteurs, une hausse de l'usure désormais insuffisante face à la course en avant des taux d'intérêt.
Un marché immobilier bientôt à l'arrêt
En augmentant le taux d'usure de 48 points de base pour les prêts d'une durée de 20 ans ou plus (3,05% au T4 2022 contre 2,57% zu T3 2022), la Banque de France a permis le déblocage de quelques dossiers, mais la fenêtre de tir se referme aussi vite qu'elle s'est ouverte. Le marché manque d'oxygène et s'étouffe non pas à cause de la progression des taux d'emprunt mais de la stagnation de l'usure en présence de cette évolution éclair. Il faut malheureusement tenir jusqu'au 31 décembre 2022 et dans l'intervalle, les taux débiteurs ne vont pas en rester là.
Les courtiers anticipent qu'ils pourraient atteindre 3,50% courant 2023, ce qui reste un niveau propice à l'achat immobilier, auquel nous étions habitués avant 2016. Cela implique de réformer l'usure sans tarder sous peine de fermer le robinet du crédit, une décision radicale qu'ont déjà prise certaines banques pour ne pas perdre d'argent. Les conditions d'octroi doublées de l'impasse de l'usure sortent aujourd'hui du marché les investisseurs en loi Pinel et désolvabilisent les candidats solvables. L'impact du DPE est par ailleurs en passe d'appauvrir le stock locatif ; investir en 2023 va devenir une gageure.
Le parcours résidentiel des ménages est truffé d'obstacles, ce qui repousse encore plus loin le concept d'une France de propriétaires. Le tableau serait totalement noirci si ce n'était le regain d'intérêt pour le PTZ (Prêt à Taux Zéro), ce dispositif d'accession réservé aux primo-accédants de la résidence principale. La hausse très nette des taux d'emprunt va le rendre plus intéressant en 2023, car le PTZ vient diminuer le taux d'endettement en finançant gratuitement jusqu'à 40% du montant de l'opération.
Alors que la déduction des intérêts d'emprunt refait surface, les primo-accédants auront peut-être plus de facilités à concrétiser leur projet immobilier en 2023. Si toutefois l'avenir du PTZ comme du Pinel en 2023 n'était pas en sursis !