Depuis plusieurs mois, la problématique de l'usure est le sujet brûlant en crédit immobilier. Les emprunteurs se trouvent confrontés à l'effet ciseaux, pris en tenailles entre la remontée brutale des taux d'intérêt et des taux d'usure trop faibles. Les courtiers alertent les pouvoirs publics sur un phénomène d'exclusion d’un grand nombre de ménages pourtant solvables et réclament, en vain, une réforme de l'usure pour éviter une crise du crédit qui bloquerait tout le marché immobilier. Certains suggèrent de ne pas intégrer l'assurance emprunteur dans le TAEG pour éviter d'outrepasser le seuil de l'usure.
Qu'est-ce que l'effet ciseau en crédit immobilier ?
Depuis que les taux d'intérêt prennent une phase ascendante, les candidats à l'emprunt immobilier sont victimes de l'effet ciseaux, un phénomène qui n'est pas nouveau, mais qui prend actuellement une ampleur sans précédent, osons dire une dimension politique à l'heure où se joue la bataille pour le pouvoir d'achat en 2022.
Ces dernières années, les ciseaux du marché immobilier étaient largement ouverts, entre la baisse historique des taux d'intérêt et l'allongement de la durée d'emprunt. En 2008, un crédit de 200 000€ sur 20 ans vous coûtait aux alentours de 120 000€ d'intérêts ; fin 2021, le même prêt ne coûtait plus que 20 000€. Dans l'intervalle, le taux d'emprunt sur cette maturité est passé de 5% à 1% (hors coût assurance prêt immobilier et coût des sûretés). Les prix immobiliers ont augmenté significativement, mais les conditions d'emprunt hyper favorables depuis 2016 ont facilité l'accès à la propriété. Pour mémoire, l'année 2021 a battu les records de transactions et de production de crédits à l'habitat.
On assiste désormais à l'effet négatif des ciseaux. Les taux d'intérêt grimpent et les taux d'usure 2022 ne suivent pas cette progression. L'évolution divergente de ces deux facteurs produit l'effet ciseaux, un phénomène redouté car il exclut bon nombre de candidats à l'emprunt, pas seulement les plus modestes.
Un calcul de l'usure hors sol
Le taux d'usure est le taux légal maximal que les banques ne doivent pas dépasser pour octroyer un crédit. Il a été instauré pour éviter d'éventuels abus bancaires. Ce taux est calculé chaque trimestre par la Banque de France sur la base des TAEG (Taux Annuels Effectifs Globaux) moyens accordés le trimestre précédent, augmentés d'un tiers. Pour les prêts d'une durée égale ou supérieure à 20 ans, le taux d'usure est fixé à 2,57% pour le troisième trimestre 2022, contre 2,40% au deuxième trimestre.
Avec un taux brut autour de 2% sur 20 ans, il devient très difficile d'intégrer dans le TAEG tous les autres frais liés à l'obtention du crédit : les frais de dossier, la garantie (hypothèque ou caution bancaire), les autres frais annexes (expertise du bien, éventuels frais de courtage, ouverture et tenue de compte), et l'assurance emprunteur, qui représente le deuxième coût après celui des intérêts.
Le problème n'est pas la remontée des taux, dont le niveau n'est en aucun cas un frein au crédit, mais la méthode de calcul de l'usure qui entraîne un décalage avec les taux d'intérêt à l'instant T. Aucun ajustement n'est possible. Même si la hausse des taux est brutale, l'usure reste liée aux valeurs des trois derniers mois. L'écart entre les taux d'intérêt et le taux d'usure sur la durée concernée devient tellement minime que l’ajout des frais incompressibles ne permet pas de respecter le seuil légal.
La délégation assurance prêt immobilier est une solution pour réduire le TAEG. Avec des offres alternatives jusqu'à quatre fois moins chères que les contrats groupe bancaires, les emprunteurs peuvent optimiser leur TAEG, mais l'équation reste très compliquée pour rester sous le seuil de l'usure tant l'espace est réduit.
Modifier le TAEG
Résultat, chez certains intermédiaires, près d'une demande sur deux est recalée au motif que le taux d'usure est dépassé. Le crédit immobilier est devenu un mirage pour des milliers de ménages. Une aberration quand le candidat est parfaitement solvable et que le taux d'endettement reste largement sous les 35% réglementaires.
Selon les règles établies par le Haut Conseil de Stabilité Financière, l'assurance prêt immobilier doit obligatoirement faire partie des frais intégrés dans le TAEG. Les banques ont été priées d'ajouter ce coût dans le calcul du TAEG sous peine de sanctions administratives. Elles utilisent pourtant une parade qui consiste à dissocier la part obligatoire de l'assurance (garantie décès/PTIA) de la part facultative (invalidité et incapacité). Cela leur permet de retirer du TAEG la moitié, voire plus, du coût de l'assurance. Le TAEG outil de désinformation pour les banques ? Ce n’est pas nouveau !
Selon le courtier Securimut, cette méthode en marge de la réglementation a pu faire baisser artificiellement les TAEG, et donc maintenir l'usure à un niveau toujours bas, ce qui génère l'effet ciseaux décrit plus haut. Il propose que l'assurance emprunteur sorte du TAEG pour pallier de manière immédiate le problème de l'usure.
D'autres suggestions avaient déjà été formulées auprès du ministère de l’Économie et des Finances. Certains courtiers ont proposé de rehausser de plus d'un tiers les TAEG moyens ou d'appliquer 100 à 200 points fixes supplémentaires plutôt qu'un pourcentage qui n'offre qu’une marge relative d'autant plus faible que le TAEG est bas.
Chaque semaine depuis mars 2022, les professionnels du crédit, courtiers en tête, s'emparent du sujet de l'usure et alertent les pouvoirs publics sur le côté absurde d'une situation qui ferme le robinet du crédit immobilier au lieu d'inciter les ménages à accéder à la propriété tant que les taux sont encore performants.
Le prochain rendez-vous de l'usure est au 1er octobre et il y a fort à parier que rien ne sera résolu d'ici là. Entre-temps, les taux d'intérêt auront inévitablement progressé, en corrélation avec la hausse des taux de la BCE opérée fin juillet 2022, et pourraient atteindre les 3% comme l'anticipent de nombreux d'experts.