L'évolution des conditions d'emprunt commence à peser sur le marché immobilier et à exclure de plus en plus de candidats à la propriété. Hausse brutale des taux d'intérêt, usure en décalage avec la réalité et contraintes réglementaires, l'accès au crédit se resserre sévèrement pour des milliers de ménages, essentiellement des personnes avec des revenus modestes, qui étaient pourtant finançables en 2021.
Les exclus du crédit immobilier
Le courtier en ligne Pretto a mis en perspective les dossiers financés en 2021 avec les conditions d'emprunt actuelles. Force est de constater la dégradation très nette de l'accès au crédit immobilier. Sur près d'un million de demandes de financement ayant obtenu un accord des banques par son intermédiation en 2021, 220 000 seraient aujourd'hui recalés, soit 18%.
Ce sont avant tout et sans surprise les ménages avec des revenus modestes qui sont les premiers exclus du marché. Le taux d'éviction dépasse les 30% chez les foyers gagnant moins de 3 000€ par mois, contre 13% chez ceux qui bénéficient de revenus mensuels de plus de 5 000€. Un tiers des personnes à revenus faibles ou moyens encore finançables en 2021 ne le sont plus en juillet 2022.
Parmi les évincés à faibles revenus, 40% sont des primo-accédants et 43% résident en Ile-de-France, région où la cherté de l'immobilier est un autre frein à l'accession. L'exclusion touche 10% des primo-accédants avec des revenus plus élevés et un peu plus d'un quart de ces recalés plus confortables financièrement sont franciliens.
L'accès à la propriété est devenu un mirage pour ces foyers, dorénavant contraints de rester locataires et de subir de plein fouet la dérive inflationniste, même si le gouvernement va mettre en place des mesures pour soutenir le pouvoir d'achat, entre autres le dispositif de "bouclier loyers" qui vise à plafonner la hausse des loyers de 3,5% pendant un an.
Les raisons du blocage
Pas de surprise non plus du côté des facteurs qui expliquent un tel phénomène d'exclusion. La hausse des taux d’intérêt est actée depuis janvier 2022, mais le mouvement s'est accéléré avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. En moyenne, les taux ont gagné 60 points de base quelle que soit la durée. Désormais, on s'endette autour de 1,60% (hors assurance emprunteur et coût des sûretés) sur la maturité classique de 20 ans, mais de nombreuses banques appliquent des taux proches de 2% compte tenu des conditions de refinancement défavorables auxquelles elles sont confrontées.
Emprunter à 2% n'est pas en soi rédhibitoire, c'est même largement plus performant que les valeurs qui prévalaient avant 2016. La problématique vient de l'usure, toujours sous-évaluée au regard des taux du moment. Le taux maximum légal pour les crédits d'une durée égale ou supérieure à 20 ans est passé de 2,40% à 2,57% entre le deuxième et le troisième trimestre 2022, un ajustement de 17 points très insuffisant étant donné la progression constante des taux d'intérêt.
Selon l'étude de Pretto, sur les 220 000 dossiers exclus en 2022, 60 000 le seraient à cause de l'usure. Rappelons que le taux d'usure vise à plafonner légalement le TAEG (Taux Annuel Effectif Global), indice qui agrège tous les coûts relatifs à l'obtention du crédit, les intérêts, mais aussi les frais de dossier, la garantie et l'assurance prêt immobilier.
Troisième frein au crédit, le taux d'effort plafonné à 35%, conformément aux normes imposées par le Haut Conseil de Stabilité Financière. Les banques ne peuvent prêter si le taux d'endettement outrepasse cette limite, quand bien même le reste à vivre serait suffisant. 160 000 dossiers parmi les exclus seraient aujourd'hui touchés par un endettement supérieur au seuil toléré. Ces 35% maximum s'entendent assurance emprunteur incluse, comme l'oblige la réglementation sur le crédit. C'est dommageable alors que les taux d'assurance de prêt immobilier peuvent augmenter jusqu'à 40% depuis l'entrée en vigueur de la loi Lemoine 2022.
Le crédit immobilier de moins en moins accessible
Malheureusement, la situation ne va pas s'améliorer dans les prochaines semaines. Aucune raison que la hausse des taux d'intérêt s'interrompt, au contraire, tous les signaux sont allumés pour que les conditions se dégradent rapidement. La Banque Centrale Européenne a annoncé vouloir relever ses taux directeurs fin juillet, afin de contrer l'envolée de l'inflation, ce qui va renchérir le loyer de l'argent pour les établissements de crédit.
Malgré cela, les banques ne pourront rehausser leurs barèmes de taux d'emprunt aux particuliers au-delà de l'usure, dont les valeurs vont stagner pour un trimestre, c'est-à-dire jusqu'au 30 septembre. On voit se profiler à court terme un blocage total de l'accès au crédit immobilier, banques comme clients pris en tenaille par la hausse du coût de l'argent et la réglementation qui borne le crédit.
La solution : une réforme urgente de l'usure. La méthode de calcul sur une base trimestrielle opère une décorrélation entre les taux d'usure et les taux pratiqués. Avec un ajustement mensuel de l'usure, la protection des ménages resterait acquise sans pénaliser l'accès au crédit. Il faudrait par ailleurs rehausser les TAEG moyens non plus d'un tiers mais d'une valeur fixe (100 pour 200 points de base) pour que la marge entre les taux proposés et l'usure ne soit plus relative mais absolue.
Pour le moment, le ministère de l'Économie estime que les données ne sont pas significatives pour témoigner d'une réelle problématique de l'usure, en dépit des appels lancés par les courtiers et par les banques. Aucune modification du calcul de l'usure n'est envisagée du côté des pouvoirs publics.