C'est désormais factuel : les banques ont durci leurs critères d'octroi sous la pression des autorités financières. Le chiffre de 100 000 emprunteurs potentiellement exclus de l'accès au crédit immobilier circule depuis plusieurs jours. Mais les premiers pénalisés pourraient être les investisseurs comme en témoignent les courtiers en crédit.
Des critères d’emprunt plus drastiques
Fin 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) émettait des recommandations à destination des banques afin de juguler les risques éventuels pesant sur l'endettement des ménages et l'équilibre des établissements. La Banque de France a enfoncé le clou mi-janvier 2020, exigeant la mise en œuvre immédiate de pratiques plus saines. Les banques ont vite corrigé le tir et n'accordent plus de crédit à l'habitat à un taux d'endettement supérieur à 33%, sur une durée de remboursement excédant 25 ans.
Les réactions n'ont pas tardé. Selon les projections de l'économiste Michel Mouillart, par ailleurs porte-parole de l'Observatoire Crédit Logement et de l'Observatoire des Crédits aux Ménages, 100 000 personnes, des ménages modestes pour la plupart, feraient les frais de cette nouvelle politique en 2020. L’an passé, le niveau historiquement bas des taux d'intérêt avait permis à un grand nombre de candidats à l'emprunt, auparavant désolvabilisés, de contracter un crédit immobilier sur une durée longue, parfois au-delà de 25 ans. Si la demande en 2020 conserve les mêmes volumes que ceux de 2019, ces ménages ne peuvent plus emprunter.
La nouvelle politique d'octroi produit déjà ses effets : en janvier, la durée moyenne des prêts est tombée de 232,3 mois à 226,7 mois. Malgré des taux d’emprunt toujours au plancher, les durées raccourcissent, signe que le crédit concerne davantage les foyers les plus aisés, dotés de revenus confortables et d'un apport personnel suffisant.
Pour autant, les régulateurs sont conscients que la dynamique du marché immobilier qui a prévalu en 2019 doit continuer. Ils ont donc consenti aux banques une certaine marge de manœuvre : 15% de la production trimestrielle peut s'écarter des normes, dont les trois quarts à destination des primo-accédants qui acquièrent leur résidence principale. Grâce à cette relative flexibilité, l'accès à la propriété serait préservé, dans une certaine mesure ; en revanche, certains investisseurs pourraient être les victimes collatérales de ces nouvelles conditions d'emprunt.
Frein au crédit pour les investisseurs
Les courtiers en crédit constatent déjà le désamour entre les banques et les investisseurs. L'approche des établissements a changé à l'égard de cette clientèle. Certains refusent tout nettement d'étudier les demandes de financement des investisseurs, d'autres les pénalisent avec une méthode de calcul du taux d'effort plus restrictive, à savoir celle appliquée aux ménages accédants. Le taux d’endettement évalue l'effort financier d'un foyer emprunteur, c'est-à-dire la somme qu'il consacre chaque mois au remboursement de la dette : il ne doit pas excéder 33%, en clair, les mensualités de crédit cumulées ne doivent pas aller au-delà du tiers des ressources. Si son projet est bien ficelé, un investisseur bénéfice de revenus additionnels avec les loyers. Les établissements de crédit intègrent ces rentrées d'argent dans les revenus mensuels, tout en leur appliquant un coefficient de pondération (entre 70% et 80%) pour tenir compte d'éventuels aléas (vacance locative, impayés de loyers, charges imprévues).
Jusqu'à présent, l'endettement d'un emprunteur investisseur était calculé selon la méthode différentielle. Les revenus locatifs étaient défalqués de la mensualité de crédit, après application du coefficient de pondération, la différence correspondant aux charges d'emprunt. Le montant du loyer compense la mensualité de crédit de manière partielle ou totale, ce qui est de nature à rassurer le prêteur. Raison pour laquelle un investisseur peut emprunter 100%, c’est-à-dire financer la totalité de l’opération à crédit sans apport personnel. Une phrase à conjuguer au passé, car les banques sont nettement moins enclines à accorder leurs faveurs aux investisseurs : non seulement l’apport personnel redevient un prérequis, mais le calcul du taux d’endettement réduit les possibilités pour les investisseurs. Explications.
Vous gagnez 2 500€ par mois et payez une mensualité de 1 200€ pour rembourser l'achat du bien que vous louez 720€ par mois (900€ x 80%). Votre taux d'endettement est de 19,2% selon la méthode différentielle.
(1 200 - 720) / 2 500 x 100 = 19,2%
Selon la méthode classique, celle qu'utilisent les banques pour calculer le taux d'endettement des primo-accédants, les revenus locatifs que vous engrangez sont ajoutés aux autres revenus, la mensualité d'emprunt restant celle du tableau d’amortissement. Évalué ainsi, votre taux d'endettement excède le seuil autorisé.
1 200 / (2 500 + 720) x 100 = 37,26%
Derrière cette évaluation plus rigoureuse du taux d'effort, c'est tout le marché immobilier qui risque d’être bouleversé. Les autorités financières semblent donner la priorité aux accédants plutôt qu'aux investisseurs pour éviter que le marché de l'acquisition ne soit plus tendu qu'il n'est déjà, en particulier dans les grandes villes. Le marché locatif qui a connu son apogée en 2019 devrait marquer le pas en 2020. L’éclairage sera apporté par les prochains chiffres d’activité du dispositif Pinel.
Source Capital