La remontée brutale des taux d'intérêt des crédits immobiliers conduit certaines banques à suspendre leur collaboration avec les courtiers. Au moins jusqu'au 1er juillet, date où entreront en vigueur les nouveaux barèmes de l'usure. Preuve est faite une nouvelle fois que le calcul de l'usure est totalement inadapté au contexte actuel, pénalisant toute la chaîne du crédit immobilier, pas seulement les emprunteurs.
Crédit immobilier sans les services des courtiers
La hausse marquée des taux d'intérêt ces derniers mois a des conséquences pour le moins inattendues sur le marché immobilier. Si cette évolution porte préjudice aux ménages emprunteurs en renchérissant le loyer de l'argent, elle atteint désormais les intermédiaires. Les taux d'usure étant au plancher, les marges bancaires sur le crédit immobilier sont actuellement si faibles que les établissements préfèrent se passer des courtiers.
Plusieurs grandes enseignes bancaires ont en effet décidé de suspendre leur partenariat avec les courtiers et d'économiser sur les commissions qu'elles leur versent pour apport d'affaires. C'est le cas de la Société Générale, du Crédit du Nord et du Crédit Agricole d’après les informations du journal Les Échos. Les banques demandent aux intermédiaires de ne plus leur envoyer de demandes de crédit immobilier tant qu'il y aura un problème avec l'usure.
La production de crédit est toujours active, mais les banques qui ont pris cette décision n'acceptent plus que les demandes en direct et arrêtent "temporairement le recours aux prescripteurs dont la part dans la production de crédit immobilier n'est pas significative", comme l'a indiqué la Société Générale au média BFM TV. Il est probable que d'autres banques suivront si une réforme de l'usure n'est pas rapidement engagée.
Il ne s'agit pas d'un problème de fond relationnel entre les banques et les courtiers, comme ce fut le cas durant l'automne 2019. Aucune convention de partenariat n'est dénoncée, la collaboration cesse le temps que l'indexation des taux d'usure permette la reprise des échanges sur des bases saines.
Les raisons du problème de l'usure
Les taux d'usure sont calculés chaque trimestre par la Banque de France sur la base des TAEG moyens accordés durant le trimestre précédent, augmentés d'un tiers. Pour mémoire, le TAEG, acronyme de Taux Annuel Effectif Global, est l'indicateur du coût total d'un crédit immobilier, car il intègre tous les frais relatifs à l'octroi du financement :
- les intérêts exprimés par le taux nominal
- la garantie (hypothèque ou caution)
- les frais de dossiers
- les éventuels frais d'ouverture et de tenue de compte
- les frais d'expertise du bien immobilier
- les primes d'assurance emprunteur.
S'y ajoutent le cas échéant les commissions de courtage si le dossier est passé entre les mains d'un intermédiaire.
Pour le deuxième trimestre 2022, le taux d'usure pour les crédits immobiliers d'une durée de 20 ans et plus a été fixé à 2,40%, soit son niveau plancher. Actuellement le taux moyen sur 20 ans s'affiche autour de 1,55% (hors assurance et coût des sûretés), bien supérieur à la moyenne de 1% qui prévalait en début d'année.
Le taux de l'usure étant calculé à partir des crédits octroyés entre janvier et mars 2022, le décalage avec les valeurs actuelles est très significatif. La violente remontée des taux d'intérêt depuis fin février rend le crédit immobilier de moins en moins accessible, et provoque l'effet ciseau en raison d'une usure stagnante. Difficile voire impossible de réussir l'équation d'un TAEG sous l'usure, puisqu'il faut ajouter tous les frais inhérents à l'obtention du crédit. Même solvable, un emprunteur se voit refuser son financement si le TAEG excède même d'un point le taux d'usure sur la durée concernée.
Les taux d'usure ne reflètent pas la brusque augmentation des taux d'intérêt observée depuis début 2022, ce qui favorise l'exclusion d'un grand nombre de ménages de l'accès au crédit. Ces dernières semaines, les acteurs du crédit, banques comme courtiers, n'ont cessé d'alerter les autorités financières quant au caractère obsolète du calcul de l'usure, réclamant de toute urgence une réforme des taux maximum légaux. Le ministère de l'Économie, qui chapeaute la Banque de France, a jugé le sujet suffisamment préoccupant pour entamer des discussions en vue de faire évoluer la méthodologie de calcul des taux légaux. La décision radicale des grandes banques vis-à-vis des courtiers va sans doute l'obliger à accélérer la révision du calcul de l'usure.
Crédit immobilier plus cher depuis janvier 2022
Les taux d'intérêt ont progressé très rapidement depuis le début de l'année 2022, mettant fin à deux millésimes de taux au plancher où il était courant de s'endetter sous la barre de 1% sur 20 ans. Pour juin, les valeurs tournent autour de 1,35% sur 15 ans, de 1,55% sur 20 ans et de 1,75% sur 25 ans, soit une augmentation moyenne de 50 points de base par rapport à fin 2021. Il n'est plus rare que des banques affichent des taux supérieurs à 2% sur 20 ans, une première depuis 2017.
La faute à l'évolution du contexte monétaire : inflation qui grimpe en flèche (5,2% sur un an à fin mai en France) et rendement des taux obligataires en forte hausse (OAT 10 ans au-delà de 2% depuis le 11 juin). Le loyer de l'argent est plus cher pour les banques, qui ajustent leurs barèmes de taux aux particuliers en conséquence. Fini le crédit bon marché, même si les taux restent pour l'heure bien inférieurs à l'inflation.
Un autre paramètre pèse dans la balance depuis le 1er juin : l'entrée en application de la loi Lemoine 2022 sur l'assurance emprunteur. La progression marquée des taux survient en même temps que l'augmentation des tarifs d'assurance de prêt immobilier. La suppression du questionnaire de santé pour les prêts inférieurs à 200 000€ remboursés avant le 60ème anniversaire de l'emprunteur a pour effet une hyper mutualisation des risques, génératrice d'une hausse notable des tarifs d'assurance pouvant aller jusqu'à 20% selon les assureurs.
Le temps n'est pas au beau fixe pour le crédit immobilier. Après deux ans d'euphorie malgré une crise sanitaire, plusieurs facteurs conjoncturels viennent gripper la machine, auxquels s'ajoute un facteur structurel, le calcul obsolète de l'usure. Les banques n'ont aucun intérêt à évincer les courtiers de leur production de crédit ; leur position actuelle a pour vocation de provoquer un électrochoc, afin que l'indexation des taux d'usure soit enfin cohérente avec la réalité du terrain. Réponse le 1er juillet 2022.