Le marché immobilier est confronté à une situation inédite : alors que les taux remontent brutalement ces dernières semaines, les taux de l'usure restent à des niveaux tellement faibles que les taux d'emprunt proposés par les banques, incluant tous les frais, leur sont supérieurs. La réforme de calcul de l'usure est plus que jamais d'actualité avec cet effet ciseau qui prive d'accès au crédit immobilier de nombreux candidats pourtant solvables.
Hausse très marquée des taux d'emprunt
Depuis janvier dernier, les taux d'intérêt des crédits immobiliers ont bondi de 50 points de base sur toutes les durées, une remontée attendue mais plus violente qu'escomptée. On en connaît les causes : la forte poussée inflationniste doublée de la hausse de l'OAT 10 ans, l'emprunt obligataire de l'État français qui sert d'indicateur aux banques pour déterminer les taux d'emprunt fixes. Le déclenchement de la guerre en Ukraine engagée fin février a empiré le phénomène et nul ne peut en prédire l'issue.
Pour le moment, 100% des emprunteurs s'endettent en dessous du seuil de l'inflation. Selon le baromètre de l'Observatoire Crédit Logement, le taux moyen toutes durées confondues s'est établi à 1,12% (hors assurance et coût des sûretés) au premier trimestre 2022, bien loin du taux de l'inflation fixé à 4,5% sur un an à fin mars. Les banques restent très compétitives pour compenser la progression des prix immobiliers et les conséquences des nouvelles normes d'octroi qui limitent le taux d'endettement à 35% des revenus nets et la durée de remboursement à 25 ans.
Les emprunteurs s'endettent sur de plus longues durées pour contrer la hausse des prix de l'immobilier et amortir l'impact de l'exigence d'apport personnel. Au premier trimestre 2022, la durée moyenne des prêts immobiliers accordés était de 241 mois, soit 20,1 ans, un niveau élevé jamais observé. Depuis septembre dernier, elle s'est allongée de 7 mois, ce qui a permis aux emprunteurs de limiter l'impact de la hausse des taux.
Le taux du marché sur la durée classique de 20 ans s'établit actuellement autour de 1,45%, une valeur à laquelle les profils faiblement dotés en apport personnel n'ont pas droit. Le taux maximal sur cette maturité frôle les 2,15%. Et malheureusement la tendance est à la hausse. Un sérieux problème en raison du niveau de l'usure.
Effet ciseau provoqué par une usure inadaptée
La remontée très sensible des taux d'emprunt se heurte aux taux de l'usure, soit les taux maximum auxquels les banques ne peuvent prêter de l'argent. Censée protéger les consommateurs des éventuelles dérives des prêteurs, l'usure se révèle aujourd'hui une menace pour accéder à l'emprunt, même en étant solvable.
Les taux de l'usure sont fixés chaque trimestre par la Banque de France sur la base des TAEG moyens octroyés le trimestre écoulé, augmentés d'un tiers. Le TAEG ou Taux Annuel Effectif Global agrège tous les coûts exigés par la banque à l'octroi du crédit :
- les intérêts,
- la garantie,
- les frais de dossier,
- les frais de courtage,
- l'assurance emprunteur
- les éventuels coûts annexes (ouverture et tenue de compte, expertise du bien).
Pour ce trimestre en cours, le taux d'usure est en baisse pour les prêts d'une durée de 20 ans et plus : 2,40%, soit son plus bas niveau, contre 2,41% le trimestre précédent. Il y a un an, il s'établissait à 2,60%. En période de taux bas, la marge d’un tiers réglementaire pour calculer les taux de l’usure est bien trop fine pour tenir compte des écarts de profil.
Plus de 60% des primo-accédants empruntent sur des durées supérieures à 20 ans. Le relèvement du seuil de l'usure, même d'un seul point, porte un risque d'exclusion de ces clientèles souvent abonnées aux taux d'emprunt les plus élevés pour compenser les faiblesses de leur profil (revenus modestes et apport personnel réduit). Confrontés à la remontée drastique des taux d'intérêt, ces candidats voient leur demande de financement refusée à cause d'un TAEG qui outrepasse l'usure.
Dès lors qu'on dépasse le taux du marché, il devient difficile de tenir l'équation du TAEG sous le seuil de l'usure en ajoutant tous les autres frais.
L'effet ciseau touche également des profils à risque accrus en raison de leur âge ou de leur santé. Eux aussi se trouvent empêchés par un taux maximal trop bas, car l'assurance tire le TAEG vers le haut.
Devenus trop proches des taux d'emprunt, les taux légaux méritent plus que jamais d'être réformés. La méthode de calcul est obsolète, produisant des valeurs incompatibles avec la réalité du terrain, à cause du décalage temporel.
Le seul levier d'économie, qui peut permettre de décrocher son financement, est de négocier l'assurance de prêt. Deuxième poste de coût après les intérêts d'emprunt, l'assurance peut être souscrite auprès d'un assureur concurrent de la banque ; à la clef, des offres entre deux et quatre fois moins chères. Il suffit d'un seul point sous l'usure pour obtenir son crédit.