On savait le marché immobilier à la peine, les derniers chiffres de la Banque de France attestent d’une crise profonde avec une production de nouveaux crédits tombée sous la barre des 10 milliards d’euros pour le mois d’août. Du jamais vu depuis février 2016. L’institution ne s’en émeut pas et se félicite par ailleurs de la bonne représentation des primo-accédants. En attendant que le gouvernement réagisse enfin pour débloquer le marché, les Français renoncent à devenir propriétaires, ce qui crée une vive tension sur le marché locatif.
Chute de la production de crédits immobilier
Le montant de la production de nouveaux crédits à l’habitat (hors renégociations) est passé au mois d’août sous la barre des 10 milliards d’euros, à 9,9 Md€ exactement, une première depuis sept ans, a annoncé jeudi la Banque de France. On est bien loin des 20 Md€ affichés durant certains mois de 2020 et 2021, et même au printemps 2022 par un effet de rattrapage post-confinements. En mai 2022, la production avait atteint un pic de 26,8 Md€.
À l’époque, les taux étaient au plancher et titraient encore 1% fin 2021 (hors assurance de prêt immobilier et différents frais de garantie). Leur remontée entamée début 2022 s’est rapidement accélérée avec le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a provoqué une crise inflationniste dans le monde et notamment en zone euro. Les banques centrales ont réagi en resserrant leur politique monétaire, ce qui vient renchérir le loyer de l’argent pour les banques de détail qui n’ont d’autre choix que de le répercuter sur le crédit aux ménages et aux entreprises.
Arrêtons avec la hausse des taux
La hausse brutale des taux d’intérêts est certes le fait générateur de cette crise majeure du secteur immobilier, mais il serait excessif de lui faire porter l’entière responsabilité de la raréfaction du crédit bancaire. Emprunter aujourd’hui à 4,20% (hors garantie et frais de sûretés) reste inférieur au niveau de l’inflation (4,90% sur un an à fin septembre 2023).
Dysfonctionnement de l’usure
Les taux ont quasiment quadruplé en l’espace de dix-huit mois, passant de 1,10% en janvier 2022 à plus de 4% sur la durée de 20 ans. Un mouvement rapide qui a mis en lumière le dysfonctionnement de l’usure. Calculé chaque trimestre, le taux d’usure ne pouvait suivre la vive progression des taux d’intérêts. Sous la pression des professionnels, banques comme courtiers, la Banque de France décide la mensualisation du taux d’usure à compter de février 2023, et ce, pour une durée provisoire jusqu'à janvier 2024. Les établissements de crédit peuvent donc ajuster leurs barèmes plus régulièrement, afin de mieux s’adapter aux contraintes monétaires qui pèsent sur eux. Ceci explique aussi l'ascenseur pris par les taux d’intérêts.
La mesure n’a pas le résultat bénéfique escompté, mais a le mérite de retarder quelque peu l’effet ciseau. Le calcul du taux d’usure reste un problème que la BdF cache sous le tapis. Révisé mensuellement, le taux maximum légal est toujours défini sur la base des taux moyens des trois mois précédents. On peut difficilement parler d’actualisation.
Autre écueil, le taux d’usure est identique sur toutes les durées à partir de 20 ans : que vous empruntiez sur 20 ans ou 25 ans, le taux d’usure qui plafonne votre TAEG (Taux Annuel Effectif Global) est le même. N’est-ce pas là un facteur discriminant pour les emprunteurs qui doivent étirer la durée de remboursement pour minimiser leur taux d'endettement mensuel ?
Règles d’octroi trop rigides
À la hausse des taux d’intérêts qui plombent leur pouvoir d’achat immobilier, les emprunteurs doivent affronter les règles du HCSF (Haut Conseil de Stabilité Financière), organe placé sous l’égide de la BdF, qui a décidé il y a trois ans d’encadrer la distribution du crédit immobilier pour éviter la surchauffe en période de taux historiquement bas. Période qui n'est plus d'actualité.
Deux limites, juridiquement opposables aux banques, ont été instaurées :
- Le taux d’endettement est plafonné à 35% des revenus nets, avant impôt et assurance de prêt comprise.
- La durée de remboursement n’excède pas 25 ans, voire 27 ans en cas d’achat dans le neuf (VEFA) ou dans l’ancien avec travaux de rénovation importants (au moins 25% du montant de l’opération).
Depuis la mise en place de ces normes, les courtiers n’ont cessé d’alerter les autorités sur leur facteur d’exclusion. Appliqué à l’aveugle par des banques qui sont soumises à des sanctions si elles l’enfreignent, le taux d’effort maximum vise à protéger les emprunteurs contre un endettement excessif, mais il ne tient pas compte du reste à vivre. Un ménage avec des revenus confortables peut s’endetter au-delà de la norme sans risquer un déséquilibre budgétaire. Par cet encadrement, on dénie aux banques leur mission qui est de prêter en bonne intelligence.
Alors que chacun espérait le taux d’endettement bientôt assoupli, la BdF a confirmé cette semaine que la norme serait bien maintenue, les banques n’utilisant pas la totalité de la marge de flexibilité qui leur est accordée.
Le nouveau calcul du taux d’endettement est par ailleurs pénalisant pour les investisseurs, car les banques n’ont plus le droit d’utiliser la méthode différentielle qui prenait en compte les éléments financiers de l’investissement locatif (loyers minorés de la mensualité et des charges locatives).
Prix immobiliers : ça baisse… trop doucement
On ne peut parler de la production de crédits sans évoquer les prix immobiliers. Une forte progression des taux est généralement suivie d’une correction des prix, certes plus tardive. Elle est bien réelle mais loin des proportions attendues pour compenser la perte du pouvoir d’achat immobilier engendrée par le renchérissement du crédit.
Selon les notaires de France, la baisse sur un an à fin octobre devrait atteindre -5,5% pour les appartements et -5,2% pour les maisons, bien insuffisante pour resolvabiliser les ménages. Où les prix baissent-ils le plus en 2023 ? Dans les grandes villes selon le dernier baromètre de Meilleurs Agents : Bordeaux et Lyon perdent plus de 8%, tandis que Nice en gagne 6,3%.
Les banques sont plus frileuses, les vendeurs refusent de voir que le marché est orienté à la baisse, les acheteurs attendent une correction plus franche. Résultat, le volume de transactions dans l’ancien redescendrait sous les 900 000 ventes en 2023, soit un repli de 20% par rapport à 2022. Pourquoi un tel écart entre la chute de la production de crédits et celle des ventes ? parce que certains paient cash, dans des proportions inédites, face aux difficultés récurrentes pour accéder au crédit bancaire.