Entrée en vigueur le 1er juin 2022, la loi Lemoine pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent en assurance de prêt immobilier change la donne en insufflant davantage de concurrence dans un marché jusque-là détenu à 87% par les bancassureurs. L’introduction de deux mesures aux effets antagonistes, la résiliation à tout moment et la suppression du questionnaire de santé, laisse pourtant les professionnels perplexes, alors que l’Assemblée nationale a déjà émis un rapport quelques mois seulement après la mise en œuvre de la loi Lemoine.
Briser le monopole des bancassureurs en assurance emprunteur
Jusqu’en juin 2022 encadrée par les lois Lagarde, Hamon et Bourquin, l’assurance de prêt immobilier repose désormais sur deux dispositifs réglementaires :
- la loi Lagarde assurance emprunteur qui valide le droit au libre choix du contrat depuis septembre 2010 ;
- la loi Lemoine qui vise à simplifier le changement d’assurance tout en facilitant l’accès à l’assurance de prêt aux personnes fragilisées par un passif de santé.
Portée par la députée Agir de Seine-et-Marne Patricia Lemoine, la loi du même nom a pour ambition de bousculer la mainmise des bancassureurs sur ce marché. Le secteur bancaire capte 87% des cotisations annuelles en assurance emprunteur, une aberration économique alors que les prestataires alternatifs sont largement moins chers, avec des offres souvent plus protectrices. L’intention première était de faciliter la substitution du contrat en cours de prêt immobilier, droit déjà contenu dans les lois Hamon et Bourquin mais assorti de contraintes calendaires, ce qui permettait aux banques de jouer contre la montre.
Après moult débats en commission mixte paritaire, les parlementaires sont arrivés à un compromis : la mesure phare du projet de loi, le droit de changer d’assurance prêt immobilier à tout moment, est maintenue en contrepartie de l’adoption de la fin de la sélection médicale, réclamée par les sénateurs.
La loi Lemoine est adoptée le 28 février 2022 et contient ces deux mesures aux effets pour le moins divergents :
- le changement de contrat à tout moment, sans frais et sans engagement minimum de souscription ;
- la suppression du questionnaire de santé pour les prêts de moins de 200 000€ remboursés avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur.
D’un côté, un dispositif qui renforce la concurrence en permettant aux emprunteurs de réduire le coût de leur assurance de manière significative (plusieurs centaines voire milliers d’euros sur la durée restante du prêt), de l’autre, un meilleur accès à l’assurance de prêt mais des tarifs en hausse.
La fin de la sélection médicale empêche les assureurs d’appliquer une tarification ajustée aux risques de santé incarnés par l’emprunteur, ce qui les oblige à mutualiser pour couvrir tous les risques sur le segment concerné.
L’avis des professionnels sur la loi Lemoine
Changer d’assurance emprunteur à tout moment était une revendication de longue date des alternatifs. Les courtiers se félicitent de ce nouveau droit qui donne enfin un réel accès à des offres moins chères grâce à une procédure simplifiée :
- plus de date d’échéance à respecter
- une réponse bancaire dans les 10 jours ouvrés
- tout refus de la banque motivé par écrit de manière exhaustive
- l’information annuelle par la banque à son client du droit au changement.
Les banques prises en défaut sont passibles d’une amende de 15 000€.
Actuellement, les courtiers enregistrent jusqu’à quatre fois plus de demandes de délégation qu’avant le 1er septembre 2022, date de l’entrée en application de la résiliation à tout moment pour tous les emprunteurs. Selon Éric Mauny, président du groupe April, un des leaders du secteur alternatif avec, notamment, son contrat assurance prêt immobilier April, les prestataires concurrents des bancassureurs devraient augmenter leurs parts de marché de 15% à 25% d’ici 2026. Les banques resteront majoritaires en vertu d’une logique commerciale qui les place en pole position dans la relation avec l’emprunteur, puisqu’elles seules distribuent les crédits immobiliers.
L’introduction de la résiliation à tout moment est accueillie plus froidement du côté des banques. Historiquement hostiles à toute opportunité donnée à l’emprunteur de choisir son contrat d’assurance, elles ont su s’adapter au gré des évolutions réglementaires, la loi Lemoine étant la dernière : alignement tarifaire sur la concurrence, plus grande segmentation, amélioration du parcours client.
La fin de la sélection médicale fait quant à elle consensus auprès des opérateurs. Courtiers, alternatifs et bancassureurs y sont toujours défavorables compte tenu de l’impossibilité de tarifer au risque sur les prêts de moins de 200 000€, ce qui concernerait près de la moitié des crédits immobiliers.
Hausse des tarifs en assurance emprunteur
Le problème est plus complexe pour les alternatifs qui ont l’habitude de segmenter au risque, contrairement aux banques abonnées à la mutualisation et à un niveau de marge beaucoup plus élevé (jusqu’à 70%, contre 30% en moyenne pour la concurrence). Il est à craindre que les prêts de 200 000€ concentrent les « mauvais risques ». Pour échapper à un surcoût, un emprunteur averti sera tenté de faire jouer l’effet de seuil en s’endettant à la marge au-delà de 200 000€. Un autre, malade, a ainsi la possibilité de faire racheter son capital restant dû de moins de 200 000€, afin de pouvoir souscrire une nouvelle assurance pour éviter toute surprime ou exclusion de garantie.
Dans le premier bilan de la loi Lemoine 2022, l’Assemblée Nationale regrette que 75% des alternatifs aient augmenté leurs tarifs de l’ordre de 20% à 25% sur les contrats où s’applique l’interdiction de sélection médicale. On voit ici toute la contradiction de la loi Lemoine qui vise la baisse des tarifs avec la résiliation à tout moment, mais provoque un effet boomerang avec la fin de la sélection médicale.
La loi Lemoine est surveillée comme le lait sur le feu. Ses effets sur le long terme sont loin d’être connus. Le texte oblige le Comité Consultatif du Secteur Financier à remettre un rapport au plus tard deux ans après la promulgation de la loi évaluant les conséquences à la fois pour les assureurs et pour les assurés de la mise en œuvre de la résiliation à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé. Le processus de segmentation des risques a déjà un impact sur les tarifs proposés. Se posera alors le problème d’égalité de traitement entre les emprunteurs.