L'impact économique de la crise sanitaire est plus lourd pour certains pans d'activité que pour d'autres. La profession serait désormais un facteur d'ostracisme de la part des banques quand il s'agit de contracter un prêt immobilier. Les refus d'octroi de crédit à l'habitat augmentent, un phénomène amplifié par les nouvelles conditions d'emprunt et la baisse des taux de l'usure.
Les professions qui peinent à décrocher un prêt immobilier
Les derniers chiffres du chômage témoignent du contexte dégradé auquel doit faire face le pays. En avril, la France a compté plus de 840 000 demandeurs d'emploi supplémentaires en catégorie A, soit un bond spectaculaire de 22,6% par rapport au mois précédent, du jamais vu depuis 1996. Avec le retrait progressif de la mesure de chômage partiel mise en place par le gouvernement dès le confinement, il faut s'attendre à des faillites d'entreprises et à des licenciements en grand nombre dans les semaines et les mois à venir. Lundi 9 juin, la Banque de France a publié une note sur la conjoncture, qui, sans être alarmiste, donne la mesure des conséquences de la crise sanitaire : le taux de chômage atteindra probablement un pic à la mi-2021 (près de 12%) et ce n'est qu'en 2022 qu'il redescendra sous les 10%.
Certains secteurs d'activité sont déjà sinistrés, et malgré les aides exceptionnelles de l'État (chômage partiel et Prêts Garantis), le manque de visibilité quant à une hypothétique reprise va sceller le sort de beaucoup d'entreprises et des salariés qu'elles emploient. L'hôtellerie-restauration, l'industrie aéronautique, l'aérien, l'événementiel, le tourisme, les sports, la culture, tous ces pans majeurs de l'économie française vont avoir du mal à se remettre de l'arrêt imposé de leur activité par la pandémie de Covid-19. Les risques de chômage accru dans ces secteurs sont malheureusement attendus et commencent déjà à peser sur la politique d'octroi de crédits des banques.
L'employabilité, nouveau critère d'octroi
Les remontées du terrain illustrent la vigilance renforcée des organismes de crédit dans ce contexte de récession économique. Selon un courtier spécialisé, certaines banques excluent d'emblée les demandes de prêt immobilier émanant de salariés évoluant dans trois secteurs frappés lourdement par les conséquences de la crise sanitaire : le secteur aérien, l'hôtellerie-restauration et l'événementiel. En dépit d'un CDI et d'une solvabilité avérée, un pilote de ligne, profession qui compte parmi les plus gros revenus, a vu sa demande de crédit immobilier refusée en raison de la probabilité élevée de perte d'emploi dans l'aérien.
Faut-il s'alarmer outre mesure de ce focus des banques sur le secteur d'activité ? La profession est-elle devenue un facteur discriminant ? Dans leur analyse des risques, les banques ont toujours scruté avec attention la profession exercée et le secteur dans lequel le candidat à l'emprunt évolue. En ces temps de crise économique inédite, il semble légitime qu'elles se montrent plus regardantes sur la capacité d'un emprunteur à retrouver une activité rémunérée, ce qu'on nomme dans le jargon "employabilité". Bien qu'elles s'en défendent officiellement, à situation équivalente (même niveau de salaire, même ancienneté), les banques vont mettre sur la touche les demandeurs venant de secteurs exposés aux effets délétères de la crise sanitaire et privilégier ceux qui travaillent dans des secteurs porteurs.
Conditions d'emprunt et taux de l'usure : deux facteurs d'exclusion du crédit immobilier
À cette sélectivité plus draconienne s'ajoutent les nouvelles conditions d'emprunt et la baisse de taux de l'usure. Les courtiers estiment pour l'heure que ces deux facteurs sont plus pénalisants que cette ségrégation pour le moment marginale opérée par quelques banques. Souvenez-vous, fin 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) recommandait aux établissements financiers de durcir leur politique d'octroi et de respecter désormais la double limitation du taux d'endettement à 33% et de la durée d'emprunt à 25 ans.
Depuis janvier 2020, il en résulte une distribution des prêts à l'habitat recentrée sur les profils premium, les mieux dotés en revenus et en apport personnel. Les courtiers ont constaté un nombre croissant de refus de financement. Les principaux concernés : les primo-accédants qui, pour cause de manque d'apport, doivent s'endetter sur les durées les plus longues, et les investisseurs à qui les banques prêtaient jusque-là 100% de l'opération en raison des revenus locatifs futurs. Pour ces deux populations d'emprunteurs, l'accès au crédit immobilier s'est refermé avec le respect drastique des consignes du HCSF. Un autre paramètre d'exclusion a durci la situation pour ces mêmes profils et pour tous ceux qui écopent des taux d'emprunt les moins performants : la nouvelle baisse des taux de l'usure au deuxième trimestre 2020.
Ces taux que les banques ne doivent pas dépasser pour accorder un prêt immobilier sur une maturité donnée intègrent tous les frais liés à l'octroi du financement, à savoir les intérêts d'emprunt, les frais de dossier, la garantie (hypothèque ou caution) et l'assurance emprunteur. L'addition de ces coûts indique le TAEG (Taux Annuel Effectif Global). Sur la durée de 20 ans et plus, le taux maximum légal est passé de 2,61% à 2,51% depuis le 1er avril. Pourquoi cette baisse ? Pour les raisons évoquées précédemment, à savoir l'octroi des prêts immobiliers en priorité aux emprunteurs les plus aisés, ce qui a pour effet de maintenir la moyenne des taux d'intérêts au plancher et mécaniquement de diminuer la grille des seuils légaux.
Modifier la méthode de calcul de l'usure pour faciliter la relance du marché immobilier
De nouveau, les courtiers s'inquiètent de l'effet ciseaux de la remontée de taux d'emprunt et de la baisse des taux de l'usure. Les banques rémunèrent leurs risques et ont sensiblement remonté leurs barèmes en avril dernier. Avec le décalage, les taux de l'usure étant calculés sur la moyenne des taux de crédit octroyés le trimestre précédent, bon nombre d'emprunteurs se trouvent pris en tenaille. Pour ne pas oblitérer une relance tant espérée du marché immobilier, les courtiers réclament, comme ils l'ont fait dans le passé à maintes reprises, une réforme de la méthode de calcul de l'usure. D'autant que les Français déconfinés manifestent avec force leur appétit pour la pierre. Selon une grande enseigne bancaire, le volume des crédits immobiliers est aujourd'hui plus important qu'à la même période l'an passé.