La règle veut que le taux d'endettement n'excède pas un tiers des revenus de l'emprunteur. Imposée depuis janvier 2020, cette limite est pourtant franchie pour près de 25% des emprunteurs. Qui sont-ils et pourquoi peuvent-ils s'endetter au-delà du seuil autorisé par le régulateur ? Dans son dernier rapport publié le 20 juillet dernier, l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution fait le point sur le respect des consignes d'octroi qui deviendront opposables aux banques à compter de cet été.
Les règles d'octroi en place depuis janvier 2020
Face à l'emballement du crédit immobilier en 2019, les autorités de régulation ont édicté des règles strictes auxquelles les banques ne peuvent déroger. Pour l'année 2020, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), organisme chargé de veiller à la stabilité financière en France et de définir la politique visant à limiter les risques, recommandait une double limitation :
- le taux d'endettement ne pouvait excéder 33% des revenus nets de l'emprunteur ;
- la durée de remboursement devait être inférieure ou égale à 25 ans.
Ces deux consignes ont été assouplies à partir de janvier 2021 : le taux d'effort est passé à 35% et la durée maximale de remboursement à 27 ans dans des cas où la date d’entrée en jouissance du bien est décalée par rapport à la date d’octroi du crédit.
Le régulateur avait toutefois accepté que les établissements de crédit s'écartent de ces règles à hauteur de 15% de leur production trimestrielle pour l'année 2020, rehaussée à 20% pour 2021. Cette flexibilité est destinée en priorité aux primo-accédants et aux acquéreurs de la résidence principale.
Dans son rapport sur le financement de l'habitat en 2020, l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) observe une normalisation progressive de ces critères d'octroi sur la période courant de janvier 2020 à février 2021 sans constater de baisse du montant moyen du crédit immobilier (181 029€ en février 2021). Une proportion non négligeable d'emprunteurs s'endette pourtant au-delà des seuils recommandés : 23,5% affichent un taux d'endettement supérieur à 35% ; un an plus tôt, ils étaient 31,5% à outrepasser le taux d'effort admis. Quels sont les profils qui profitent de la générosité des banques ?
Les primo-accédants et les investisseurs favorisés
Le taux d'endettement correspond à la part du revenu du ménage consacrée au remboursement du ou des crédits. Sur la période observée (janvier 2020-février 2021), l'ACPR observe un taux d'endettement moyen légèrement supérieur à 30% (total des opérations), variable selon le profil de l'emprunteur :
- 29,5% pour les primo-accédants
- près de 31% pour ceux déjà propriétaires
- près de 30% pour les investisseurs locatifs.
L'ACPR détaille également la part des crédits représentant un taux d'effort supérieur à 35% :
- 15% pour la primo-accession
- 25% pour les autres cas d'accession à la résidence principale
- 32% pour l'investissement locatif.
C'est à Paris et en Île-de-France que les banques accordent plus volontiers des crédits immobiliers avec un taux d'effort hors des clous, en raison des revenus des ménages supérieurs à ceux du reste du territoire, également des prix des logements plus élevés qu'ailleurs.
Règles d'octroi : bientôt obligatoires
Durant l'année 2020, une part importante des banques a pris la liberté d'octroyer des crédits immobiliers hors de la marge de flexibilité fixée alors à 15% de la production totale : 33,3% de la production n'étaient pas conformes aux règles d'octroi au premier trimestre, proportion qui est descendue à 26,1% au dernier trimestre.
L'assouplissement des règles d'octroi et la hausse de la flexibilité admise (20% depuis janvier 2021) ont permis de faire baisser le volume de crédits accordés hors des règles de manière très significative : au premier trimestre 2021, 8,8% des prêts étaient hors recommandation, pourcentage tombé à 5,6% en avril 2021.
La menace d'en passer par la législation pour imposer ces règles semble être efficace. En janvier dernier, le HCSF avait prévenu qu'il entendait donner un caractère juridiquement contraignant à ces recommandations durant l’été 2021.
Peu de défauts de paiement
En France, le modèle d'octroi des crédits immobiliers est vertueux et repose sur 3 piliers :
- l'immense majorité des prêts sont à taux fixe (96,7% de la production fin 2020), ce qui prémunit d'un risque éventuel de remontée des taux d'emprunt ;
- les prêts sont garantis par une hypothèque ou une caution qui permet de limiter les pertes des banques en cas de défaut de paiement ;
- l'appréciation de la solvabilité de l'emprunteur conduit la décision du prêteur d'accorder ou non le financement.
Cette politique d'octroi protectrice à la fois pour les prêteurs et les emprunteurs permet de réduire le risque d'impayés. En mars 2021, le taux de défaut de paiement était évalué à 0,10% de l'encours brut. Sont considérés comme défaillants les prêts présentant plus de 90 jours d'impayés.
La solvabilité de l'emprunteur est en partie mesurée par le taux d'endettement, appelé taux d'effort dans le jargon professionnel, et non sur la valeur du bien financé comme cela se pratique ailleurs, limitant les risques en cas de dépréciation du marché. Le ratio entre le montant des prêts et la valeur vénale des biens financés (loan to value ou LTV) a d'ailleurs reculé de 2,7 points à 82,7%, ce qui témoigne d'un sursaut du taux d'apport personnel.