Annoncée dans les médias comme un remède miracle à la crise du crédit et de l’immobilier, la possibilité de réexaminer un prêt refusé une première fois risque de faire « pschitt ». Le régulateur passe encore à côté du problème, une façon de montrer qu’il se soucie des difficultés des Français pour se loger, tout en jetant de la poudre aux yeux. Explications.
Réexamen d’un dossier de prêt refusé : qui y a droit ?
Depuis début février 2024, les banques se sont engagées à mettre en place un dispositif de réexamen des demandes de crédit immobilier refusées à la marge. Dans un communiqué, la profession indique vouloir assurer « une meilleure compréhension des éventuels crédits immobiliers non accordés, avec un dispositif temporaire de revue de ces demandes ».
Chouette ! Durant toute l’année 2024, si votre demande de financement immobilier est recalée une première fois, vous avez le droit de réclamer une seconde chance, que votre projet concerne l’achat de la résidence principale, d’un logement secondaire ou d’un bien locatif.
Les conditions de réexamen d’un dossier refusé en 2024 sont :
- Votre taux d’endettement n’excède pas 35% de vos revenus nets, avant impôt et assurance emprunteur incluse.
- Vous ne devez pas être inscrit sur le fichier des incidents de paiement.
- Vous devez en faire vous-même la demande.
Cette possibilité désormais opérationnelle fait partie des 3 mesures cosmétiques de la Banque de France pour relancer le marché immobilier, en grande difficulté dans un contexte de remontée brutale des taux. Les deux autres concernent :
- le différé d’amortissement en cas de travaux : la durée de remboursement peut aller jusqu’à 27 ans si les travaux représentent au moins 10% de l’opération, contre 25% auparavant.
- le calcul du taux d’endettement qui se fait hors intérêts d’un éventuel prêt relais.
Le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), la Banque de France et Bercy n’en finissent pas de réguler la distribution du crédit immobilier. Cette nouvelle mesure censée lâcher du lest n’aura pas l’effet escompté. Encore une fois, le régulateur s’égare, et pour le comprendre, il faut revenir en arrière.
Un dispositif sans effet en 2024
Fin 2019, les autorités financières disent stop à une éventuelle surchauffe du crédit immobilier en édictant deux règles applicables dès janvier 2020, modifiées un an plus tard et opposables juridiquement aux banques à compter de janvier 2022 :
- Le taux d’endettement est d’abord limité à 33% des revenus nets, puis à 35% à compter de janvier 2021. Le calcul se fait avant impôt, assurance emprunteur comprise.
- La durée de remboursement ne doit pas excéder 25 ans, sauf exception dans le neuf (VEFA et construction) et dans l’ancien où elle peut aller jusqu’à 27 ans. Une condition de travaux est imposée en cas d’achat dans l’ancien (voir plus haut).
Le but de ces normes est d’éviter que les ménages ne s’endettent au-delà de leurs capacités, les banques étant passibles de sanctions si elles s’en affranchissent. Ces dernières les appliquent strictement, sauf à l’intérieur de la marge de flexibilité autorisée qui leur permet d’octroyer des crédits immobiliers à leurs propres conditions (20% de leur production à destination de la primo-accession et de l’achat de la résidence principale).
Ces règles du HCSF ont été érigées en période de taux au plancher, où s’endetter ne coûtait quasiment rien : à l’automne 2019, le taux moyen sur 20 ans s’affichait autour de 1% (hors assurance emprunteur et coût des sûretés). La donne a changé depuis la remontée brutale des taux d’intérêts début 2022 : ils ont quadruplé pour atteindre 4,50% fin 2023.
Résultat, la production de crédits à l’habitat s’effondre (-40% en 2023), le taux d’endettement de ménages pourtant solvables étant rapidement dépassé à cause de la règle de 35%. Les courtiers n’ont eu de cesse de plaider pour une réforme des règles du HCSF. Fin de non-recevoir. Le déni des autorités de la crise du logement prend une nouvelle dimension avec l'indécent retard à nommer un ministre du Logement dans le gouvernement Attal 2024 (chose faite le jeudi 8 février).
C’est là qu’émerge la mesurette de la seconde chance. Les banques appliquent les règles qui leur sont imposées, mais on leur demande de revoir leur analyse. Un peu schizophrène, non ? Voici deux raisons pour lesquelles le dispositif est mort-né :
- Une demande de prêt est nécessairement liée à un bien immobilier spécifique, qui aura bien souvent été vendu entre le refus et le réexamen.
- La baisse des taux d’intérêts depuis janvier 2024 resolvabilise certains emprunteurs.
On peut également s'interroger sur le motif de refus dès lors que le taux d'endettement reste dans les clous. Pourquoi dire non si le taux d'effort n'excède pas la norme des 35% ?
Il aurait été beaucoup plus pertinent et moins grandiloquent de considérer le reste à vivre dans les conditions d’octroi. Un ménage disposant de revenus confortables peut en effet s’endetter au-delà des 35% sans compromettre son équilibre financier, compte tenu du niveau de son reste à vivre. Cela a été rappelé par la jurisprudence en juillet 2023. Un collectif de députés va dans ce sens et vient de déposer une proposition de loi visant une évolution des règles du HCSF en 2024 par la prise en compte du reste à vivre dans les critères d’endettement.
La France est championne du monde des normes et réglementations. Le pays est malade de ses normes, preuve en est la crise inédite du logement. Tension sur le marché de l’accession, tension sur le marché locatif, de nombreux ménages qui ont les moyens d’acheter restent locataires pour cause de règles absurdes, les locataires peinent à trouver un logement à leurs besoins en raison de la pénurie d’offres, et les demandes de logement social explosent (2,6 millions). L’État aurait-il oublier que l’immobilier, c’est le jackpot pour les finances publiques ? 90 milliards d’euros de rentrée d’argent (chiffres 2021) pour 38 milliards d’euros d’aides, ces dernières ayant tendance à baisser depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron.