Piégés par l'effet ciseau, un nombre croissant de ménages se voient actuellement exclus de l'accès au crédit immobilier. La faute aux taux d'usure, trop faibles face à la remontée brutale des taux d'intérêt. Jusque-là sourd aux appels des professionnels, le ministère de l'Économie se dit ouvert à une évolution du calcul de l'usure pour trouver le juste équilibre entre protection des consommateurs et accès à la propriété.
Nouvelle hausse des taux d'emprunt en juin
Pour le cinquième mois consécutif, les taux d'intérêt augmentent en raison de la progression constante de l'inflation et de la forte tension sur les taux obligataires. Le taux de la dette française sur 10 ans (0AT 10 ans) voit son rendement quasiment tripler depuis début mars et atteindre désormais son niveau le plus élevé depuis juin 2014, soit 1,6%. Le titre évoluait en territoire négatif en 2020 et durant une bonne partie de l'année 2021. L'inflation est quant à elle en phase ascendante depuis fin 2021, mais le rythme s'est accéléré avec la guerre en Ukraine. Selon les chiffres de l'Insee, l'inflation affiche un taux de 5,2% sur un an à fin mai.
Les banques répercutent sans surprise cette évolution monétaire sur leurs barèmes de taux d'emprunt. En ce début juin, le taux brut sur 20 ans oscille entre 1,40% et 1,80% (hors assurance et coût des sûretés), loin du 1% voire 0,80% communément observé il y a six mois. Si brutale soit-elle, la hausse des taux d'intérêt n'en reste pas moins modérée au regard de l'inflation. Les établissements de crédit veulent rester compétitifs afin de remplir leurs objectifs de production ambitieux, dans la lignée des chiffres record de l'année 2021.
Exclusion due à l'effet ciseau
Si les taux d'intérêt n'augmentent pas davantage, c'est aussi en grande partie à cause de l'usure. Le taux maximum légal sur 20 ans et plus est fixé à 2,40% pour le deuxième trimestre 2022. Or, le taux d'usure représente le TAEG (taux Annuel Effectif Global) que les banques ne doivent pas dépasser sur la durée concernée, ce taux intégrant tous les frais relatifs à l'octroi du crédit :
- les intérêts exprimés par le taux nominal
- les frais de garantie
- les frais de dossier
- les éventuels frais de courtage
- le coût de l'assurance emprunteur.
Plus le taux nominal se rapproche de l'usure, plus il devient difficile d'intégrer les autres frais dans les limites autorisées et donc d'obtenir un financement. Le croisement des deux lignes, celle des taux d'intérêt et celle de l'usure, provoque le fameux effet ciseau, facteur d'exclusion de nombreux candidats à l'emprunt immobilier, même de ménages finançables, avec un taux d'endettement largement dans la norme. Chez certains courtiers, un quart des demandes de prêt immobilier dépassent désormais les seuils de l'usure contre un peu plus de 4% en 2021.
Vers une révision de l'usure ?
La problématique de l'usure n'est pas nouvelle, mais elle prend une tournure plus inquiétante en conjugaison avec les autres restrictions imposées par le régulateur (taux d'endettement limité à 35% des revenus nets et durée de remboursement plafonnée à 25 ans). Ces dernières années, les courtiers ont à diverses reprises alerté la Banque de France, en vain, sur le caractère obsolète du calcul de l'usure, en décalage avec la réalité des taux d'intérêt.
Il semblerait que les autorités financières considèrent aujourd'hui le sujet comme suffisamment sérieux pour envisager des solutions visant à prendre en compte l'impact de la remontée des taux sur les taux d'usure. Une consultation auprès des banques a été lancée pour faire évoluer la méthodologie de calcul de l'usure. Qu'en sera-t-il du temps de réaction, alors qu'un autre facteur vient renchérir le coût du crédit immobilier ?
Il devient d'autant plus urgent de réformer l'usure que la hausse des tarifs d'assurance emprunteur liée à l'entrée en application de la loi Lemoine le 1er juin dernier (suppression du questionnaire médical sous certaines conditions) va inévitablement accentuer les difficultés d'accès au crédit. Il est par ailleurs exclu que les taux baissent à l'avenir. Au contraire. La Banque Centrale Européenne vient de confirmer la hausse de son principal taux directeur dès juillet, une décision destinée à contrer la spirale inflationniste en zone euro mais facteur d'augmentation des taux d'emprunt, qui pourraient rapidement atteindre la barre des 2%.
Le prochain barème trimestriel de l'usure entre en vigueur au 1er juillet. Les valeurs seront probablement en hausse en vertu de la progression des TAEG octroyés les trois mois précédents, mais peut-être encore trop faibles pour permettre l'accès au crédit immobilier dans un contexte de taux d'intérêt en augmentation constante.