La proposition de loi Lemoine adoptée jeudi dernier par les parlementaires prévoit, entre autres, la suppression de la sélection médicale pour certains clients. Il s'agit là d'une avancée majeure pour l'accès au crédit immobilier des personnes avec des problèmes de santé, mais cette mesure historique pourrait avoir un impact négatif sur les tarifs d'assurance en raison d'une mutualisation accrue des risques, partagés à l'avenir par toute la communauté des emprunteurs.
Adoption de la proposition de loi Lemoine
Députés et sénateurs ont trouvé jeudi 3 février dernier un compromis concernant la proposition de loi Lemoine. Contre toute attente, la commission mixte paritaire a adopté le principe de résiliation à tout moment des contrats d'assurance de prêt immobilier, la mesure phare de ce texte qui, jusqu'à présent, divisait les partisans d'une libéralisation totale du marché de l'assurance emprunteur à ceux qui lui préfèrent le système existant qui permet de changer de contrat à date d'échéance (amendement Bourquin).
Selon les estimations de l'association UFC-Que Choisir, l'adoption de la résiliation à tout moment va permettre de redistribuer quelque 500 millions d'euros aux emprunteurs dès la première année. En moyenne, un emprunteur économisera 50€ chaque mois en dénonçant le contrat bancaire pour souscrire une formule alternative moins chère, à garanties au moins équivalentes.
Sur la durée restante d'un crédit immobilier, le gain peut grimper jusqu'à plusieurs milliers d'euros. Le courtier Magnolia.fr a fait le calcul : un couple de quarantenaires, détenteur d'un prêt de 250 000€, peut réduire de 31 500€ le coût de son crédit tout simplement en changeant d'assurance au bout de 3 ans. Les nouveaux contrats pourront en profiter dès juin 2022 et les contrats en cours à compter du 1er septembre. N'hésitez donc pas à changer d'assurance prêt immobilier pour faire des économies !
La proposition de loi Lemoine prévoit également 2 dispositifs inédits pour les personnes touchées par la maladie :
- Le délai du droit à l'oubli passe de 10 à 5 ans : l'assureur ne peut rechercher aucune information médicale en lien avec un cancer pour les personnes guéries depuis au moins 5 ans et sans rechute. La mesure est étendue à l'hépatite virale C, mais exclut les maladies chroniques. En clair, l’assuré n’a pas à déclarer son ancienne maladie passée 5 ans après la fin du protocole thérapeutique.
- Le questionnaire de santé est supprimé sous certaines conditions : pour les prêts de 200 000€ remboursés avant les 60 ans de l'emprunteur, la souscription à l'assurance est accessible sans sélection médicale.
Pour clore le parcours législatif de ce texte, le vote solennel de deux chambres interviendra les 10 et 17 février prochain avant la promulgation de la loi.
Accès au crédit facilité pour les personnes malades
Le questionnaire de santé est aujourd'hui l'étape incontournable lors de la souscription à l'assurance de prêt immobilier. Les renseignements fournis par le candidat à l'emprunt permettent à l'assureur d'évaluer les risques et d'appliquer une tarification appropriée ou de refuser la couverture. Pour les personnes avec un risque aggravé de santé, cela se traduit par l'exclusion ou par une surtarification, qui peut elle aussi les empêcher de concrétiser leur projet immobilier.
Malgré des taux d'intérêt au plancher, les surprimes d'assurance pour motifs de santé peuvent entraîner le TAEG (Taux Annuel Effectif Global) au-delà du seuil de l'usure, ce qui conduit à un refus de financement. Pour rappel, le TAEG contient tous les frais exigés à l'obtention du crédit, les intérêts n'étant que la partie émergée de l'iceberg : frais de dossier, commission de courtage, garantie (hypothèque ou caution), et assurance emprunteur.
Les personnes avec un lourd historique de santé peuvent s'appuyer sur la convention Aeras (s’Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) pour accéder à l'assurance. Ce dispositif plafonne les surprimes voire attribue des conditions proches des tarifs standard pour les pathologies listées dans la grille de référence, mais ne dispense pas de remplir le questionnaire de santé, sauf pour les cas qui relèvent du droit à l'oubli. Pour ces clients, la fin programmée de la sélection médicale est la nouvelle qu'ils attendaient tous. En n'étant plus stigmatisés par la maladie, ils pourront plus facilement réaliser leur projet d'accession à la propriété.
Qui va être concerné par la fin du questionnaire de santé ?
La mesure est strictement encadrée (conditions cumulatives) :
- le montant de la quotité assurée doit être inférieur à 200 000€ ;
- le prêt doit être remboursé avant le 60ème anniversaire de l'assuré.
Initialement, les sénateurs avaient souhaité que la fin du questionnaire de santé s'applique aux prêts jusqu'à 350 000€ pour un terme avant les 65 ans de l'emprunteur. Le législateur a donc poussé le curseur vers le bas, limitant la portée de cette disposition.
La réglementation actuelle fixe la durée de remboursement de tout crédit immobilier à 25 ans. En conséquence, la fin de la sélection médicale concernera en premier lieu les jeunes de moins de 35 ans, cœur de clientèle des courtiers en crédit. Le montant moyen d'un primo-accédant trentenaire est autour de 175 000€.
Le plafond de 200 000€ s'entend par quotité assurée. Un couple peut donc emprunter 399 999€ si la quotité est de 50% sur chaque tête. Il faut toutefois que la situation financière des co-emprunteurs soit similaire pour que la répartition soit égale. En fonction des revenus de chacun, la quotité est ajustée, pour obtenir un total de 100% minimum du montant emprunté. Dans tous les cas, celui qui supportera la quotité la plus élevée ne pourra pas emprunter plus de 200 000€.
Le fait de supprimer le questionnaire de santé est aussi une excellente nouvelle pour les candidats plus âgés disposant d'un apport personnel conséquent qui n'ont pas besoin d'emprunter plus de 200 000€. On pense également aux fumeurs qui peuvent payer jusqu'à deux fois plus cher leur assurance que les non-fumeurs. Sans oublier tous ceux qui détiennent déjà un crédit couvert par une assurance au prix fort en raison de problèmes de santé : le changement d'assurance à tout moment va leur permettre de réduire significativement le coût du contrat sous réserve d'entrer dans le périmètre de la mesure (capital restant dû inférieur à 200 000€ et terme du crédit avant 60 ans).
Attention aux tarifs
Le risque demeure toutefois l'élément fondamental de l'assurance et la maîtrise des risques la condition de la réussite économique dans ce domaine. En supprimant le questionnaire de santé, le législateur pourrait bouleverser le modèle économique des assureurs en faisant porter le risque incarné par certains sur la communauté des emprunteurs. La segmentation d'aujourd'hui fera place à une mutualisation induite par une solidarité accrue, avec, pour conséquence, un renchérissement des tarifs pour tous.
Les bancassureurs pratiquent la mutualisation des risques depuis toujours, une des raisons pour lesquelles leurs contrats d'assurance sont plus chers que les offres des alternatifs, conçues sur-mesure. Et même sans information médicale sur son client via le questionnaire de souscription, une banque dispose de moyens internes pour avoir des indications sur son état de santé (relevé de compte, assurance santé), ce qui lui permet d'adapter le tarif de l’assurance emprunteur.
Il est impossible à ce stade de savoir comment réagira le marché. La proposition de loi Lemoine oblige les pouvoirs publics à remettre un rapport d'ici deux ans sur les effets de la résiliation à tout moment et de la suppression du questionnaire de santé.