Les emprunteurs, les courtiers et les banques en rêvent, Bercy aussi ! Dans une interview au journal Le Parisien samedi 2 décembre dernier, Bruno Le Maire s’est dit favorable à un assouplissement des conditions d’octroi du crédit immobilier, alors que la réunion périodique du Haut Conseil de Stabilité Financière a lieu aujourd’hui 4 décembre. Faut-il croire à cette déclaration d’intention ?
Rappel des conditions d’octroi du crédit immobilier
En pleine période de taux d’emprunt au plancher, qui ont permis de dynamiser le secteur de l’immobilier entre 2016 et 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) met le holà et décide d’encadrer la distribution des crédits à l’habitat, jusque-là parfaitement maîtrisée par les banques de détail dans le respect du système de l’usure :
- Le taux d’endettement est plafonné à 33% à compter de janvier 2020, puis à 35% à compter de janvier 2021 : le taux d’effort est calculé sur la base des revenus nets avant impôt, et assurance de prêt immobilier comprise.
- La durée de remboursement ne doit pas excéder 25 ans, avec une tolérance jusqu’à 27 ans en cas d’achat dans le neuf (VEFA) ou dans l’ancien avec travaux de rénovation importants (au moins 25% du montant de l’opération).
Alors simples recommandations, les règles du HCSF deviennent juridiquement opposables à partir de janvier 2022 : les banques qui ne respectent pas la nouvelle norme sont passibles d’une amende administrative.
Édictées à l’époque où emprunter ne coûtait quasiment rien, ces règles sont devenues un frein à l’accès au crédit immobilier dès que les taux ont remonté début 2022. De 1% fin 2021 (hors assurance emprunteur et autres frais de garantie), le taux moyen sur 20 ans dépasse désormais les 4,50%.
Le taux d’endettement, sujet de crispation pour Bercy
En bridant le taux d’endettement, le régulateur prive de crédit immobilier des ménages solvables qui ont les capacités de s’endetter au-delà de la norme. Ces deux dernières années, les courtiers n’ont eu de cesse de réclamer de faire sauter ce verrou du taux d’endettement maximal à 35% et de laisser les banques juger de la capacité d’emprunt de leurs clients sur la base d’une notion plus pertinente : le reste à vivre, c’est-à-dire le revenu disponible pour assumer les dépenses du quotidien, une fois les mensualités de crédit remboursées.
Environ 25% des demandes de crédit immobilier sont refusées au seul prisme des limites imposées par le HCSF, alors que le ménage est parfaitement solvable. En juillet 2023, la Cour de cassation avait entériné que taux d’endettement et reste à vivre sont deux notions complémentaires, et validé un taux d’endettement bien supérieur à 35%, indiquant que le reste à vivre est un facteur supérieur d’appréciation du risque d’endettement excessif.
Jusqu’à présent, la Banque de France (BdF), institution qui chapeaute le HCSF, a refusé tout assouplissement des règles d’octroi, notamment du taux d’endettement, justifiant son entêtement par la protection des emprunteurs contre un endettement excessif. Un aveuglement à l’origine de la colère des courtiers en crédit. Après avoir manifesté en septembre 2022 devant le siège de la BdF, ils ont réitéré l’opération le mardi 21 novembre et formulé dans la foulée 3 propositions afin de faire évoluer les règles d’octroi. Parmi ces suggestions, calculer le taux d’endettement maximum sur les 8 premières années, comme cela est fait pour le coût de l’assurance emprunteur depuis la mise en application de la loi Lemoine.
Mieux étudier les refus de prêts immobiliers
Bercy aurait-il entendu les doléances des intermédiaires ? Dans une interview au Journal Le Parisien, mise en ligne le 2 décembre dernier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire dit souhaiter la création d'une "procédure à l'amiable, entre l'emprunteur et le banquier, lorsque ce dernier refuse un prêt immobilier", pour "aider à comprendre pourquoi le prêt a été refusé et éventuellement, si la situation de l'emprunteur le permet, conduire à une révision de la décision". Est-ce la porte ouverte à un élargissement à la marge du taux d’endettement pour les ménages qui répondent aux critères de solvabilité ?
Ces déclarations interviennent deux jours avant la réunion trimestrielle du HCSF, instance présidée par Bercy et à laquelle siège le gouverneur de la BdF, François Villeroy de Galhau, farouche opposant à toute réforme des règles du HCSF, qu’il qualifie de « normes de bon sens». En novembre dernier, le gouverneur avait indiqué que d’éventuels ajustements techniques pourraient être étudiés lors de cette réunion, sous réserve qu’ils n’entraînent pas de hausse du risque de surendettement.
Ne pas toucher aux contraintes a-t-il un sens, alors que la crise de l'immobilier se transforme en crise sociale ? 76% des ménages surendettés sont locataires (chiffres de la BdF) et seulement 9% sont des propriétaires. En l’espace de cinq ans, la part de la dette immobilière des ménages surendettés est passée de 36% à 29%. De quoi donner des arguments pour desserrer l’accès au crédit immobilier.