L'épidémie due au Covid-19 grippe totalement la machine du crédit immobilier, ce qui n'empêche pas les banques d'augmenter les taux d'intérêt. En attendant la reprise sur laquelle personne n'a de visibilité, certains établissements en profitent pour reconstituer leurs marges en période de confinement de la population.
Des hausses de taux jusqu'à 70 points
Les barèmes bancaires reçus par les courtiers en ce début avril affichent une progression plus que substantielle des taux d'intérêts des crédits à l'habitat. Selon Vousfinancer, sur une quinzaine d'établissements, 95% appliquent des ajustements entre +0,05% et 0,70%, une forte variation constatée en grande partie chez les banques régionales et qui frappent, dans la partie haute, les profils les moins bien dotés. Toujours selon ce même intermédiaire, une grande enseigne nationale a elle aussi franchi le pas en rehaussant le taux sur 20 ans de 0,85% à 1,35% pour les meilleurs dossiers et de 1,65% à 2,35% pour les profils les plus risqués. La moyenne des ajustements se situe entre 0,15% et 0,25% et n'entame que marginalement l'attractivité des taux. Les valeurs restent peu ou prou identiques à celles de janvier 2019.
Un constat partagé par un autre courtier leader, Meilleurtaux, qui relève des augmentations comprises entre 0,20% et 0,30% selon les établissements, les durées et les profils. Il convient de préciser que la plupart des grandes enseignes ne communiquent pas leurs barèmes des taux en raison d'un arrêt total de la production.
Pas de nouveaux crédits...
Pourquoi s’employer à modifier les taux d'intérêts alors que la distribution de crédits immobiliers est quasiment à l'arrêt depuis plus de trois semaines ? La crise sanitaire plonge le pays dans une récession sans précédent qui nécessite des actions fortes des pouvoirs publics et le secours plus que jamais indispensable des banques à l'économie locale. Privés d'une partie de leur personnel et pour la plupart fermés au grand public, les établissements bancaires se concentrent sur le sauvetage et le financement des entreprises. La production de crédits immobiliers n'est pas l’inquiétude du moment, et si le sujet doit être traité, il concerne en priorité les demandes déposées avant la déclaration d'état d'urgence sanitaire, et les reports ou modulations d'échéances demandés par les particuliers emprunteurs en proie à des difficultés de remboursement. Sans pression concurrentielle, les établissements en profitent pour reconstituer leurs marges après deux ans de taux au plancher qui ont rendu le crédit peu rémunérateur. Rares sont les banques à accorder des emprunts pour financer l'achat d'un logement en cette période de fort ralentissement économique et administratif.
... et peu de transactions
Le réseau d'agences immobilières Century 21 confirme une chute spectaculaire du nombre de transactions depuis le confinement : après le 17 mars, le volume des ventes s'est contracté de 81% pour les appartements et de 80% pour les maisons. Les vendeurs et les acquéreurs n'ont pas la possibilité d'échanger les clefs, de visiter les logements ni même de déménager. Sans compter le nombre important de rétractations dans le délai légal de 10 jours d’acheteurs ayant signé des avant-contrats. Les chiffres indiquent néanmoins que quelques affaires ont pu être menées à terme. Les offices notariaux sont fermés au public, mais les notaires ont l'autorisation de procéder à la signature des actes authentiques à distance conformément au décret du 4 avril 2020. Le texte réglementaire introduit un nouvel acte de comparution entièrement digitalisé, qui nécessitait auparavant obligatoirement le présentiel des parties à l’office notarial : notaire et client communiquent par visioconférence, le second signe électroniquement l'acte et le notaire signe ensuite l'acte authentique seul. Le procédé concerne les actes dits solennels, comme les ventes sur plan ou en VEFA, mais aussi les actes d'hypothèques et les donations. Pour les actes relatifs à des ventes immobilières classiques, il est toujours possible de les signer par procuration par le biais d'un clerc de notaire, ce qui a permis à un maigre nombre de transactions de se concrétiser. Rappelons par ailleurs que l'ordonnance 2020-306 du 25 mars dernier suspend le délai légal de rétractation des avant-contrats (compromis ou promesses de ventes) au-delà d'un mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire : les personnes dont le droit de rétractation devait être purgé après le 12 mars ont jusqu'au 3 juillet pour se décider.
Quel scénario de reprise ?
Le marché immobilier est donc en pause forcée, tant du côté des ventes que du côté des financements. Un grand nombre de projets sont ajournés, mais rares sont ceux qui osent un pronostic de sortie de crise. Les taux vont-ils augmenter ? Les prix s'infléchir ? Tout dépendra de la durée du confinement et de l'impact psychologique que cet enfermement sanitaire aura sur la population et en l'occurrence sur ceux qui prévoyaient d'acheter ou d'investir avant l'épidémie.
Selon Meilleurtaux, si la reprise a lieu courant mai, les taux pourraient regagner 20 à 30 points de base. Un avis que ne partage pas Vousfinancer, plutôt partisan d'une concurrence interbancaire favorisant des taux bas pour relancer la machine du crédit. Quant aux prix des logements, les notaires anticipent d'ores et déjà un repli conséquent de 10% à 15% dans le scénario le plus optimiste, et bien au-delà si le confinement devait durer deux mois. Les futurs acquéreurs pourraient être les grands gagnants de ces corrections, contrairement aux propriétaires qui verraient leur bien se déprécier, notamment dans les zones peu tendues.
Un récent sondage montre pourtant que les Français n'ont que peu perdu leur appétit pour la pierre. Réalisée en mars en plein confinement par l'institut BVA pour le site d'estimation Drimki, l'enquête évalue à 15% des personnes interrogées le pourcentage de celles qui comptaient acheter un logement dans les 12 mois contre 17% en février. Les projets locatifs restent stables à 19%. Les Français porteurs de projets immobiliers semblent donc plutôt confiants. Il sera sans doute plus difficile de confirmer ce sentiment si le confinement se prolonge au-delà du mois d'avril. Dans un marché au point mort, les chiffres manquent pour se livrer à quelque extrapolation.