La crise sanitaire et économique bouleverse le marché de l'immobilier, entraînant une transformation de la structure de la clientèle. Avec la hausse des taux d'intérêts, l'application stricte des consignes du HCSF et les risques qui pèsent sur les ménages emprunteurs, les crédits à l'habitat sont davantage accordés aux emprunteurs les plus aisés.
Augmentation des risques de défaut de paiement
Selon l'Observatoire Crédit Logements/CSA, le taux moyen toutes durées confondues s'est établi à 1,29% en juin dernier (hors assurance et coût des sûretés). En trois mois, l'indice a augmenté de 14 points, avec une accélération de la hausse en mai. Le taux provisoire à mi-juillet est observé à 1,26%, confirmant la tendance à une relative stabilité. Entre décembre 2019 et juin 2020, les taux d'intérêts ont gagné 18 points de base en moyenne, et retrouvent le niveau de juin 2019. Quelle que soit la durée de remboursement, les taux se situent désormais au-dessus de la barre de 1%.
Cette évolution des taux d'emprunt immobilier est bien évidemment corrélée à la montée des risques imputable au contexte dégradé lié à l'épidémie de Covid-19. Les banques ont relevé leurs barèmes en avril dernier face à la probabilité de défauts de paiement sur les dettes immobilières, consécutive à la recrudescence du chômage et à la perte de pouvoir d'achat des ménages. La structure des clientèles s'est déformée, reléguant à la marge les emprunteurs modestes qui sont habituellement abonnés aux taux les plus élevés sur les durées les plus longues.
Recentrage de la production de crédits immobiliers vers les ménages les plus aisés
Les profils les plus à risques, ceux qui disposent des revenus les plus fragiles et d'un moindre apport personnel, supportent ainsi l'augmentation de taux la plus forte : au moins 20 points de base depuis décembre 2019, quelle que soit la durée d'octroi. En revanche, les meilleurs profils ont subi de manière moins frontale la hausse des taux d'emprunt, aussi bien depuis décembre que depuis mars.
Pour compenser la hausse des taux et la progression des prix de l'immobilier, les banques ont été obligées d'allonger les durées de remboursement, tout en limitant l'octroi de financement à plus de 25 ans. Au cours du deuxième trimestre 2020, près de 50% de la production de crédits à l'accession à la propriété ont été accordés sur une durée comprise entre 20 et 25 ans. La proportion sur ces durées était de 46,9% en 2019, et de 42,3% en 2018. La durée moyenne s'établit désormais à 231 mois (19,25 ans), un niveau élevé jamais atteint.
La production de crédits à l'habitat s'est recentrée sur la clientèle aisée, comme en témoigne l'évolution du coût des opérations, qui progresse en moyenne de 4,3% sur les six premiers mois 2020 en comparaison avec l'année 2019. La proportion d'emprunteurs à revenus élevés et moyens élevés (cadres et professions libérales) est plus importante qu'en 2019, au détriment des ménages modestes (ouvriers et employés). Ceci explique le coût des opérations tiré vers le haut, également le bond de l'apport personnel moyen : +8,4% par rapport à 2019, alors qu'en 2019 l'apport s'était contracté de 5,2%.
L'impact des consignes du HCSF
À partir de 2016, les banques se sont montrées plus laxistes en matière de critères d'octroi pour répondre au choc de la hausse des prix des logements et à la dégradation des soutiens publics à l'accession. Une situation qui avait atteint son paroxysme en 2019. Selon la Banque de France, la part des prêts immobiliers avec un taux d'effort (taux d'endettement) supérieur à 35% a très nettement augmenté ces dernières années, passant de 21,9% en 2015 à plus de 25% en 2019. La hausse significative du taux d'effort concerne alors tous les types de financements, ceux destinés aux résidences principales, en particulier les primo-accédants, et aux investissements locatifs.
Fin 2019, le régulateur demande aux établissements de crédit de rectifier le tir et de durcir leurs conditions d'octroi. La double limitation du taux d'endettement à 33% et de la durée de remboursement à 25 ans réoriente la production de crédits immobiliers vers les clientèles les mieux dotées en revenus et en apport personnel. Nonobstant la crise économique, cette transformation du marché est clairement la traduction des recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF).
En fixant une limite du taux d'endettement non plus tacite mais réglementaire, le HCSF demande implicitement aux établissements financiers de privilégier les emprunteurs avec un apport personnel important. En 2020, l'Observatoire évalue à 36,2% le nombre de ménages emprunteurs avec moins de 3 Smics, contre 39% en 2019. À l'inverse, les clients avec 5 Smics et plus voient leurs parts progresser à 27,4% contre 24,6% l'an dernier. Il en résulte la disparition progressive de la clientèle la plus fragile : 300 000 accédants à la propriété qui disposaient en 2019 d'un apport personnel inférieur à 10% du coût de l'opération pourraient être exclus du marché immobilier en 2020.
Si la crise sanitaire est largement en cause dans la contraction du marché immobilier (-9,8% en nombre de prêts accordés sur un an), l'Observatoire Crédit Logement concède toutefois que les recommandations du HCSF en sont à 40% responsables.