La proposition de loi Lemoine examinée ce jeudi 25 novembre à l'Assemblée Nationale prévoit de faciliter le changement d'assurance de prêt immobilier. Tant espérée par les consommateurs et par les assureurs alternatifs, cette faculté n'est pas du goût des banques, qui détiennent le quasi monopole du marché et agitent le chiffon rouge de la démutualisation. À la clef des millions d'euros d'économies annuelles pour la communauté des emprunteurs.
Assurance de prêt immobilier : chasse gardée des banques
Le marché de l'assurance emprunteur revêt deux particularités qui interrogent sur l'existence même du principe de concurrence :
- les bancassureurs engrangent 87% des 7 milliards d'euros de cotisations annuelles en couverture des crédits immobiliers ;
- les bancassureurs réalisent une marge moyenne de 68% sur le produit, soit trois fois le niveau pratiqué en assurance habitation ou automobile.
Ces chiffres illustrent une situation quasi-monopolistique, qui surprend d'autant plus que plus qu'une décennie de réglementations est censée faciliter le libre choix du contrat. Depuis septembre 2010 et la loi Lagarde, tout emprunteur peut souscrire à sa guise le contrat d'assurance en garantie de son crédit immobilier, le prêteur ne pouvant plus lui imposer son contrat maison. En juillet 2014 a été introduite la loi Hamon qui permet de résilier le contrat dans les douze premiers mois du prêt pour le substituer par une offre alternative à garanties au moins équivalentes. Le changement en cours de prêt au-delà de la première échéance sera permis à partir de janvier 2018 avec l'amendement Bourquin.
Force est de constater que cet arsenal législatif ne suffit pas. Les bancassureurs maintiennent leur pression sur le marché, déniant ainsi le droit à la délégation d'assurance à tout emprunteur, en amont du crédit comme en cours de remboursement. Plusieurs rapports du Comité Consultatif du Secteur Financier font état de pratiques, parfois abusives, visant à bloquer toute tentative de substitution d'un contrat groupe bancaire : refus non motivé, manœuvres dilatoires, demande indue de documents, dénigrement des offres alternatives. Tout est bon pour décourager l'emprunteur. La proposition de loi qui sera débattue demain à l'Assemblée Nationale va changer la donne si elle est adoptée.
Résilier à tout moment : martingale contre le monopole bancaire
Porté par les députés du groupe Agir ensemble, le texte prévoit d'inscrire dans le marbre la résiliation à tout moment de l'assurance de prêt immobilier, et ce, quelle que soit l'ancienneté du contrat, sans délai minimal d'engagement. Rappelons que cette opportunité de changer de contrat existe déjà en assurance habitation, auto/moto et santé, une fois révolue une année de souscription.
Il est également prévu un renforcement des sanctions administratives à l'encontre des banques qui ne respecteront pas leurs obligations. Une des contraintes cardinales auxquelles elles devront se plier concerne l'information de l'emprunteur : chaque année, le prêteur doit informer son client de son droit de changer de contrat d'assurance, sans frais ni pénalités d’aucune sorte.
Soutenue par le gouvernement et validée en commission la semaine dernière, cette proposition de loi a toutes les chances d'être adoptée. Une procédure d'examen simplifiée devrait faciliter son parcours législatif. Au grand dam des banques qui voient pointer la libéralisation du marché, escomptée par les concurrents et les consommateurs depuis 2010. Sous l'argument fallacieux de la démutualisation, elles fustigent le dispositif. Une des plus grosses enseignes, le Crédit Mutuel pour ne pas le nommer, a même sorti l'artillerie lourde en supprimant la sélection médicale pour ses meilleurs clients à compter du 1er décembre. La résiliation à tout moment, "le far west de l'assurance", comme l'a canonné le dirigeant du Crédit Mutuel ?
Les banques oublient sciemment que l'assurance alternative récupère les profils à risques qu'elles ne veulent pas assurer. En queue du carrosse bancaire, les emprunteurs qui présentent des risques aggravés pour raisons médicales ou professionnelles se tournent par nécessité vers les assureurs concurrents pour obtenir une couverture adaptée et concrétiser leur projet immobilier. Les établissements de crédit leur préfèrent des clients plus standards, les "bons risques" selon le jargon du métier. Ils risquent donc de perdre gros si la loi est votée.
Jusqu'à 15 000€ d'économies... et même plus
En première ligne dans la défense des consommateurs et mobilisée de longue date sur le sujet de la résiliation en assurance emprunteur, l'association UFC-Que Choisir a chiffré les économies réalisables en faisant un changement d'assurance prêt immobilier en cours. Le dispositif permettrait de rendre 550 millions d'euros par an à la communauté des emprunteurs et plutôt que de parler de moyenne, puisque chaque dossier est différent, abordons l'angle du bénéfice pour les emprunteurs par des cas concrets.
À couverture équivalente, un couple de 35 ans qui rembourse son crédit depuis 5 ans peut récupérer 13 000€ sur la durée restante de son prêt. Le gain peut atteindre 15 000€ pour un couple de 55 ans qui vient tout juste de souscrire son emprunt (200 000€ sur 20 ans). Les économies potentielles d’une résiliation/substitution peuvent même être beaucoup grasses, comme l’illustre une étude toute fraîche réalisée par le courtier indépendant Magnolia.fr à partir de 3 profils d’emprunteurs. Chacun emprunte 193 000€ sur 20 ans au taux nominal de 0,95% et décide de changer de contrat d’assurance au bout de 3 ans :
couple de 30 ans fumeurs |
couple de 40 ans non fumeurs |
couple de 50 ans non fumeurs |
|
coût de l’assurance (taux assurance) |
23 160 € (0,30%) |
27 840 € (0,36%) |
38 600 € (0,50%) |
cotisations assurance restantes au bout de 3 ans |
19 704 € |
23 664 € |
32 840 € |
coût de la nouvelle assurance (taux assurance) |
3 513 € (0,12%) |
4 332 € (0,26%) |
11 931 € (0,26%) |
gain |
16 173 € |
19 332 € |
20 909 € |
Source : données Magnolia.fr, novembre 2021
Redonner du pouvoir d'achat aux emprunteurs, voilà le premier objectif de la proposition de loi sur la résiliation à tout moment en assurance de prêt immobilier. Elle entend également mettre un terme au "cadenassage du marché" opéré par les banques, pour reprendre la métaphore d'UFC-Que Choisir. Jusqu'à présent, la réglementation a laissé les banques maximiser leurs profits en assurance de prêt. Ce n'est pas le droit fondamental de choisir le contrat et d'en changer à tout moment qui peut les déséquilibrer ni même mettre en danger la communauté des emprunteurs par la menace d'une trop grande volatilité.