Le gouvernement fait face à un vrai dilemme à propos du Livret A : faut-il augmenter son taux comme le voudraient les conditions monétaires ou opérer un gel du taux pour préserver les intérêts des banques ? Le premier scénario coûterait plus cher aux banques et les inciterait à rehausser les coûts d’autres produits comme le crédit immobilier. D’un côté, les emprunteurs sont perdants, de l’autre, les épargnants trinquent.
Quel taux du Livret A en août 2023 ?
Le prochain taux du Livret A doit être annoncé à la mi-juillet. Depuis le début de l’année 2022, le taux de ce livret d’épargne réglementée détenu par quelque 55 millions de Français a été multiplié par six, passant de 0,5% à 3%. La dernière révision a eu lieu le 1er février dernier, le taux était monté de 2% à 3%.
Pour faire très simple, le mode de calcul du Livret A se base sur l’inflation des douze derniers mois et sur le niveau des taux interbancaires dans la zone euro (Eonia et Euribor 3 mois). Selon la logique mathématique, le taux devrait être rehaussé au 1er août prochain, une des deux échéances traditionnelles, et atteindre 4,3% si les hypothèses sur le niveau de l’inflation et des taux à court terme de la zone euro se vérifient. D’après l’économiste et directeur du Cercle de l’Épargne Philippe Crevel, le taux devrait plutôt se situer autour de 3,5% ou 3,6% pour ménager la chèvre et le chou.
La Banque de France pourrait aussi décider du gel du taux et s’en tenir à sa volonté de lisser les évolutions du taux du Livret A pour préserver la stabilité financière en avançant deux arguments : le caractère passager de la dérive inflationniste et l’intérêt des bailleurs sociaux. Or, la révision du taux du Livret A n’a pas la même portée selon qu’on se place du côté des épargnants ou des banques.
Taux du Livret A et crédit immobilier : quel rapport ?
Pour bien comprendre l’incidence d’une hausse du taux du Livret A, il convient de rappeler la finalité de ce placement. Historiquement, le Livret A finance le logement social et plus récemment le renouvellement urbain. La Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui centralise la majeure partie des fonds collectés, utilise cette ressource pour prêter à long terme aux organismes du logement social dont les offices HLM. Le taux de crédit est indexé sur le taux du Livret A. Plus le taux augmente, plus les coûts des nouveaux prêts souscrits par les organismes de logement social sont élevés, ce qui pénalise leur capacité à rénover et à construire de nouvelles habitations.
Les banques collectent les versements des épargnants et conservent environ 35% des dépôts non centralisés par le fonds d’épargne de la CDC afin de financer les entreprises et rémunérer les épargnants. Une nouvelle hausse du taux du Livret A n’est pas de leur goût, car elle augmenterait le coût de leurs ressources, sans pour autant qu'elles profitent de la remontée des taux d’intérêts sur les prêts immobiliers, dont l’immense majorité est à taux fixe.
La Banque de France prévient qu’une hausse significative du Livret A serait préjudiciable aux emprunteurs, car les banques seraient tentées de compenser cette augmentation en renchérissant le coût d’autres produits bancaires, au premier rang desquels le crédit immobilier.
Il est légitime que les épargnants espèrent une revalorisation du taux du Livret A, mais elle se ferait au détriment des emprunteurs, déjà pénalisés par des taux de crédit immobilier au plus haut depuis dix ans. Alors qu’il est si difficile d’emprunter en 2023, une hausse très limitée du taux du livret A permettrait de contenter les épargnants, certes modérément, tout en réduisant les surcoûts pour les banques et les bailleurs sociaux.
Les chiffres choc de la crise de l’immobilier 2023 sont suffisamment éloquents pour que les pouvoirs publics interviennent sans tarder, en réformant par exemple les règles d’octroi du HCSF. Indirectement, il conviendrait que les autorités financières aient la main légère sur le taux du Livret A.
La législation permet à la Banque de France de proposer une mesure dérogatoire au ministre de l’Économie en cas de circonstances exceptionnelles. Bruno Le Maire, qui a le pouvoir de trancher, a d’ores et déjà indiqué qu’il s’en tiendrait à la recommandation de la Banque de France.
Le Livret A connaît un succès historique depuis 2009, année où sa distribution a été généralisée. Au premier trimestre 2023, 20 milliards d’euros ont été collectés, ce qui porte l’encours total à près de 530 milliards d’euros. Actuellement, le taux du Livret A, corrigé de la hausse des prix à la consommation, affiche un rendement négatif de l’ordre de -3%.