Depuis janvier 2020, la distribution du crédit immobilier est soumise aux règles d'octroi édictées par le régulateur. Malgré un contexte de crise, cela n'empêche pas une production de crédit dynamique, soutenue, il est vrai, par le niveau historiquement bas des taux d'emprunt. Pourtant, certains profils restent exclus de l'accès au crédit. Mais pas d'assouplissement en vue. Les autorités financières pourraient prochainement durcir ces règles et leur donner un caractère contraignant.
Le crédit immobilier déjà encadré
Selon les informations du journal Les Échos du 10 juin dernier, une réunion du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), présidée par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, se tiendra mardi prochain. Au menu, les modalités d'encadrement des conditions d'octroi des prêts immobiliers. Pourquoi une telle réunion alors que le crédit immobilier est déjà encadré par des règles strictes depuis janvier 2020 ?
L'objectif est de prévenir un éventuel dérapage des établissements bancaires dans une période marquée par une crise économique sans précédent. Alors que les taux des emprunts d'État à 10 ans (OAT 10 ans), sur lesquels s'ajustent les taux d'intérêt fixes des crédits à l'habitat, sont repassés en territoire positif, et que se précise la menace d'un retour de l'inflation, le régulateur anticipe pour contrer les risques potentiels de surendettement des ménages.
Flash back. Fin 2019, face à l'emballement du crédit immobilier au cours de l'année écoulée, où était constatée une augmentation des pratiques a priori les plus risquées (allongement des maturités, augmentation des taux d’effort individuel, hausse de la part des taux d’effort supérieurs à 35%, hausse de la part des taux d’apport personnel inférieurs à 5%), le HCSF demandait aux banques d'appliquer de nouvelles consignes :
- le taux d'endettement ou taux d'effort est limité à 33% des revenus nets de l'emprunteur ;
- la durée maximale de remboursement est fixée à 25 ans ;
- le montant de l'emprunt ne doit pas excéder 7 années de revenus.
Il est accordé aux banques une marge de flexibilité pour s'affranchir de ces règles à hauteur de 15% de leur production trimestrielle à destination de la clientèle primo-accédante et des acquéreurs de la résidence principale.
Face à la bronca des professionnels qui s'étaient alarmés, à juste titre, de l'exclusion des ménages les plus modestes, également de certains investisseurs locatifs, le HCSF rectifie le tir fin 2020.
Depuis janvier dernier, le taux d'endettement maximum autorisé est porté à 35% des revenus nets et la durée de remboursement peut aller jusqu'à 27 ans (25 ans + 2 ans de différé d'amortissement) en cas d'achat en VEFA ou construction neuve. Le régulateur lâche aussi du lest sur la marge de flexibilité dont le taux grimpe à 20%, toujours en faveur des primo-accédants et de l'acquisition de la résidence principale. Ces deux points gagnés sur le taux d'effort et la durée de remboursement ont pu permettre à ceux qui se situaient à la marge des plafonds de représenter leur dossier.
Les banques plus souples sur les conditions
Il était un temps où les banques considéraient le reste à vivre comme paramètre aussi important que le taux d'effort. Un candidat à l'emprunt disposant de revenus confortables pouvait alors s'endetter au-delà du seuil des 33%, sans mettre en péril le budget du ménage tout en conservant un reste à vivre suffisant. Dans aucune de ses recommandations depuis l'hiver 2019, le HCSF ne fait référence au reste à vivre, déniant aux banques le cœur de leur métier, c'est-à-dire l'analyse personnalisée des demandes de financement.
Les banques ont-elles pour autant changé leurs méthodes ? Les règles édictées par le régulateur n'ayant pas de caractère contraignant, elles ont continué, du moins pour certaines, de considérer les dossiers à l'aune de leurs propres critères, quitte à accorder des prêts immobiliers avec un taux d'effort outrepassant les 33% ou 35% recommandés. Rappelons que le taux de défaut des crédits immobiliers est très faible en France (autour de 1% des montants empruntés), ce qui illustre l'aversion du risque des banques et leur rigueur dans le traitement des demandes.
Alors que les conditions d'emprunt n'ont jamais été aussi attractives, avec des taux d'intérêt au plus bas depuis l'automne 2019, il serait contre-productif que les banques appliquent sans discernement les consignes des autorités financières. Les courtiers rapportent que certains établissements ont octroyé des prêts immobiliers avec un taux d'endettement pouvant aller jusqu'à 38%, quand tous les signaux sont au vert.
Une loi pour cerner les conditions d'octroi du crédit immobilier
Les banques étaient prévenues. Dans sa dernière recommandation, le HCSF indiquait que la maîtrise du taux d'effort et le caractère raisonnable de la maturité tels qu'il les a fixés deviendront juridiquement contraignants à l'été 2021. La réunion de mardi prochain pourrait en effet inscrire les consignes du HCSF dans la loi en promulguant un décret. Rien n'est fait, le sujet est au cœur des discussions des parties prenantes, banques, gouvernement et Banque de France.
En donnant une tournure légale à ses règles d'octroi, ce qui implique des sanctions en cas de manquement, le HCSF pourrait “faire peur aux banques”, comme l'estime un professionnel. Le coup de bâton pourrait être une surcharge en fonds propres (actuellement à 0,50% des actifs) en cette période d'accélération du crédit. Le boomerang : la tentation d'une remontée des taux d'emprunt, surtout de la part de banques déjà en avance sur leurs objectifs de production.
Ces nouvelles contraintes pourraient donner un sérieux coup de frein à un marché du crédit hyper dynamique. Selon les derniers chiffres de la Banque de France, la production de crédits immobiliers (hors renégociations) a crû de près de 24% en avril par rapport au mois précédent, lui-même en hausse de 21,4% comparativement à février 2021. Le taux de croissance annuel brut des crédits à l'habitat était de 6% en avril 2021.