Alors que le ministre du Logement se félicite de la reprise de l'activité du bâtiment, les professionnels s'inquiètent des répercussions des règles sanitaires sur les prix des logements. Un surcoût jusqu'à 25% pourrait toucher petits et gros chantiers. La Fédération Française du Bâtiment réclame des mesures pour assurer la reprise.
Le bâtiment victime des règles sanitaires
Invité dimanche 17 mai au "Grand Rendez-vous" d'Europe 1 - Les Échos, Julien Denormandie, le ministre de la Ville et du Logement, a dit observer une volonté de reprise de la part des Français et des entreprises, notamment celles du bâtiment. Selon les chiffres des fédérations, le secteur de la construction et du bâtiment est aujourd'hui actif à 72%. Le ministre espère que tous les chantiers seront de nouveau opérationnels d'ici la fin du mois. Fin avril, 80% des entreprises du secteur étaient à l'arrêt, tandis que les autres avaient réussi à maintenir une activité partielle.
Malgré la publication d'un guide spécifique des recommandations sanitaires rédigé par l'Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux publics (OPPBTP), le secteur ne pouvait que constater un problème qu'il avait bien anticipé : l'immense difficulté à respecter les mesures sanitaires sur les chantiers. Dès le début du confinement, les professionnels du bâtiment s'étaient heurtés aux injonctions du gouvernement qui souhaitait une poursuite de l'activité en dépit de l'épidémie. Les entreprises avaient jugé scandaleux les propos de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, estimant que l'arrêt des chantiers était du "défaitisme". La crainte des patrons de préserver la sécurité de leurs employés était pourtant légitime, et cohérente avec l'appel du Président de la République de stopper les chantiers lorsque les conditions de prévention ne sont pas remplies, ce qui est malheureusement fréquent sur les sites de construction.
Un terrain d'entente avait donc été trouvé fin mars avec la diffusion par l'OPPBTP d'un plan de prévention destiné à assurer la sécurité sanitaire des employés pour permettre la continuité des activités de la construction. Plan qui s'est avéré intenable pour la plupart des chantiers et a conduit la majorité des maîtres d'œuvres, d'ouvrage et des entreprises à interrompre les travaux en cours.
L'impact des règles sanitaires sur les prix du bâtiment
La fin progressive du confinement le 11 mai dernier n'a pas changé la donne. Les règles sanitaires (distanciation, port du masque, de gants, désinfection du matériel, etc.) doivent continuer de s'appliquer car l'épidémie n'est pas éradiquée. Au-delà de la complexité à adopter toutes les mesures de sécurité sur les chantiers, les professionnels redoutent une forte hausse des coûts de la construction en raison des aménagements obligatoires. Entre les équipements spécifiques pour les salariés et la perte de productivité, la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) évalue le surcoût moyen entre 15% et 20% pour un chantier en rénovation, à 10% pour la construction de petits immeubles et à 20% pour une maison individuelle où il y a moins d'espace pour gérer plusieurs corps de métier. Selon la Fédération Française du Bâtiment (FFB), l'impact sur les grands chantiers est estimé en moyenne à 10%, mais peut grimper à 25% en cas de problématique de transport. Pour un artisan qui travaille seul chez un particulier, le surcoût se limiterait à 3%.
Les délais contractuels n'attendront la fin de l'état d'urgence sanitaire
Ces augmentations de coût pour les métiers du bâtiment n'intègrent pas celles des fournisseurs de matériaux de construction. Sur certains types de produits, la hausse des prix pourrait atteindre 20%. Pour absorber ces coûts additionnels, la FFB demande l'application d'un coefficient majorateur de 10% du prix des marchés en cours, ainsi que l'annulation des charges patronales des salariés jusqu'à la fin de l'année 2020. La fédération soulève un autre sujet de préoccupation : les délais contractuels vont recommencer à courir à compter du 23 juin pour les marchés privés et le 23 juillet pour les marchés publics, conformément à l'ordonnance du 13 mai dernier.
Sans attendre la fin de l'état d'urgence sanitaire le 10 juillet, le gouvernement considère que les entreprises peuvent retravailler à 100% de leurs capacités et donc respecter les délais de construction à compter de ces dates. Cette décision est "une hérésie" pour la FFB, et remet de l'huile sur le feu entre l'État et les organisations patronales du secteur. Du fait des conditions de productivité dégradée sur les chantiers, actuellement et pour les semaines à venir, les entreprises ne pourront tenir les délais de livraison et se verront appliquer des pénalités de retard. Les professionnels réclament au gouvernement de considérer la date de fin de l'état d'urgence sanitaire pour éviter la double peine : le surcoût lié aux règles sanitaires et les pénalités pour non-respect des délais d'exécution des travaux.
source Les Échos