Nul ne connaît encore l'ampleur des conséquences de la crise sanitaire sur le marché immobilier. La reprise tant attendue après la levée des mesures de confinement se prend de plein fouet la crise économique sans précédent qui affecte le pouvoir d'achat des ménages et touche tous les secteurs d'activité. Si l'appétit pour la pierre ne se dément pas et s'est même renforcé au cours de cette période inédite, il est un type de transactions qui devraient pâtir de cette ambiance incertaine, doublée de nouvelles conditions d'emprunt : l'investissement locatif.
L'achat immobilier, plus accessible en 2019 grâce aux excellentes conditions de crédit
L'engouement exceptionnel pour l'immobilier en 2019 a confirmé que l'accès à la propriété est intimement dépendant des conditions d'emprunt. Les taux d'intérêt avaient repris leur lente recrue en janvier 2019 pour atteindre leur plus bas historique en octobre 2019 : le taux moyen toutes durées confondues s'établissait alors à 1,12% hors assurance (Observatoire Crédit Logement). Résultat, le marché a totalisé l'an passé plus d'un million de transactions et les banques ont distribué plus de 250 milliards d'euros de prêts à l'habitat. En dépit d'une hausse des prix des logements (+4,5% par rapport à 2018), les Français ont plébiscité la pierre grâce à des conditions d'octroi des crédits bancaires toujours plus avantageuses.
Cet assouplissement des conditions de financement est devenu une préoccupation du régulateur. Fin 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) alertait les banques sur leur politique d'octroi jugée trop laxiste, qui induisait un risque potentiel sur leur équilibre et sur la situation financière des emprunteurs. L'institution prudentielle a donc édicté des recommandations qui ont désormais valeur d'obligations, enjoignant les établissements de crédit à durcir les conditions d'octroi des prêts immobiliers. Trois limitations leur sont imposées :
- taux d'effort limité à 33% : les charges d'emprunt ne doivent pas excéder un tiers des revenus du ménage emprunteur;
- durée d'emprunt limité à 25 ans;
- montant de l'emprunt limité à 7 années de revenus : avec un taux d'endettement à 33% pour un prêt d'une durée de remboursement de 25 ans, le montant du capital emprunté représente effectivement 7 années de revenus.
Primo-accédants et investisseurs : nouveaux exclus de l'accès au marché immobilier
L'application immédiate dès janvier 2020 de ces 3 règles a modifié la structure de la production de crédits immobiliers. La distribution s'est recentrée sur les clientèles les plus vertueuses, celles pourvues d'apport personnel qui peuvent s'endetter sur des durées plus courtes. Certains économistes ont chiffré à 100 000 le nombre de ménages exclus de l'emprunt immobilier pour cause de conditions resserrées. Malgré une relative flexibilité accordée par le régulateur aux banques, les victimes de ce durcissement sont, depuis janvier 2020, les primo-accédants et les investisseurs. Les premiers, parce qu'ils s'endettent plus généralement sur des maturités longues (25 ans et plus) compte tenu de la maigreur voire de l'absence totale d'apport personnel. Le niveau historiquement bas des taux d'intérêt leur permettait d'emprunter à long terme dans le respect du seuil de l'endettement maximum. Les seconds, parce que les revenus locatifs étaient pris en compte dans le calcul du taux d'endettement. Sans mise de départ, un investisseur pouvait obtenir un financement sans difficulté si la qualité du bien à louer était au rendez-vous, et avec un taux d’endettement supérieur au seuil maximum.
La crise sanitaire qui s'est imposée depuis mars 2020 a non seulement mis à l'arrêt l'économie du logement mais largement hypothéqué sa relance. Si les consignes du HSCF sont maintenues sans discernement, l'investissement locatif, achat qui repose uniquement sur un choix patrimonial et de placement, et ne constitue pas une réelle nécessité, va largement régresser, au détriment des besoins cruciaux de notre pays en logements.
L'investissement locatif, nécessaire à l'offre d'habitations
Si l'accès à la propriété a été facilité en 2019 et durant les trois années précédentes grâce aux conditions d'emprunt, tout le monde n'a pas les moyens de devenir propriétaire. En 2019, environ 40% des Français étaient locataires. La France manque de logements dans les zones densément peuplées où la demande excède l'offre. Le rôle majeur des investisseurs permet de corriger cette pénurie de logements à louer et les dispositifs mis en place ces dernières années (Pinel), conjugués aux conditions d'emprunt, ont facilité l'émergence de ce segment. Selon le réseau Century 21, 25% des transactions réalisées en 2019 étaient à usage locatif. Les statistiques du réseau ont également révélé que les investisseurs étaient désormais plus jeunes, autour de 35 ans, et qu'ils privilégiaient les zones géographiques à forte demande locative (grandes agglomérations et villes moyennes dynamiques).
Le contexte actuel va sans doute modifier les comportements d'achat. La crainte de l'avenir, cimentée par un risque accru de chômage dans les semaines et les mois à venir, va inciter les ménages à thésauriser. Consommation en berne au profit de l'épargne de précaution et pour ceux qui portaient un projet locatif, la peur renforcée des loyers impayés, sentiment légitime en cette période de récession. Les pouvoirs publics doivent donc, plus que jamais, rétablir la confiance des investisseurs, rendus frileux par la crise économique, et empêchés, pour les plus motivés, par les règles d'octroi édictées par le HCSF.
Les courtiers, comme de nombreux acteurs du secteur, ont demandé au régulateur d'amender ces consignes, en particulier le plafond strict des 33% pour le taux d'endettement. Chacun plaide pour une prise en compte du reste à vivre, un paramètre tout aussi fondamental que le taux d'endettement dans l'analyse d'une demande de prêt immobilier. À taux d'effort identique, un ménage à revenus confortables peut s'endetter au-delà de la limite communément admise, tandis qu'un foyer modeste devra rester en-deçà pour conserver un niveau de vie décent. Cela vaut pour les accédants comme pour les investisseurs, et c'est d'autant plus vrai pour les seconds que le bien est générateur de revenus locatifs mensuels dès la livraison.
En attendant le plan de relance de l'immobilier par l'État, il est essentiel que les ménages investisseurs soient actifs au plus vite. Cela passe par une révision des nouvelles conditions d'octroi et par un retour à la méthode de calcul différentiel de l'endettement, plus avantageuse pour les investisseurs, puisqu'elle réduit le taux d'endettement grâce à une meilleure prise en compte de la situation.