Serait-ce bientôt la fin des mutuelles et autres assurances santé complémentaires ? Avec son projet de Grande Sécu, le gouvernement envisage en effet de limiter fortement l'action de l'assurance privée pour faire prendre en charge la totalité des frais de santé par l'Assurance Maladie, qui deviendrait alors le seul assureur santé. Pourquoi un tel dispositif et comment fonctionnerait-il ?
Refonte totale du système de santé
C'est pour l'heure une pure fiction mais le gouvernement planche sérieusement sur un projet très technique aux enjeux hautement politiques : l'extension du régime de base sur le terrain aujourd'hui occupé par les mutuelles et autres complémentaires santé, ou pour le dire plus simplement, une Grande Sécu qui deviendrait la seule et unique couverture des frais de santé, l'assureur universel des Français.
Instance de réflexion créée en 2003, le Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie (HCAAM) a été missionné à l'été 2021, par le ministre de la Santé Olivier Véran, pour réfléchir sur une refonte profonde du système de santé et en mesurer l'impact. Le rapport est attendu dans les prochaines semaines, mais un pré-rapport a déjà eu la primeur de certains médias. Ce projet colossal de Grande Sécu réduirait de manière drastique le champ d'intervention des organismes complémentaires, un scénario auquel adhère l'exécutif.
Et pour cause. Après l'annonce d'une très nette augmentation des tarifs en 2021 (entre 7% et 10%), les organismes complémentaires se sont mis à dos le gouvernement et les associations de consommateurs. Si la hausse des dépenses de santé qu'ils sont amenés à prendre en charge est bien factuelle, il leur est reproché des coûts de commercialisation et de gestion exorbitants qui renchérissent in fine le tarif payé par l'assuré.
Le but du projet de Grande Sécu
Aujourd'hui, les dépenses de santé sont assumées à trois niveaux :
- la Sécurité Sociale, organisme public qui prend en charge en moyenne 80% des frais voire 100% pour les personnes souffrant de maladie de longue durée ;
- les prestataires privés (mutuelles, assurances et institutions de prévoyance) qui complètent le remboursement autour de 13% ;
- les patients qui contribuent à hauteur d'un reste à charge moyen de 7%.
L'idée de la Grande Sécu serait de faire payer l'intégralité des frais de santé par l'Assurance Maladie. Finis les intermédiaires qui alourdissent le parcours administratif d'un acte médical et le coût de chaque opération, traitée par deux protagonistes, la Sécu et la mutuelle. Le nouveau système prendrait en charge tous les tickets modérateurs et même le dispositif 100% Santé, qui permet aujourd'hui d'accéder à des équipements d'optique, dentaires et auditifs sans reste à charge, ne nécessiterait plus l'intervention des mutuelles.
Un système de protection unique permettrait une mutualisation efficace des risques sur toutes les classes d'âge. Actuellement, chaque assuré cotise à un organisme complémentaire en fonction de son âge et du niveau de garanties, les seniors étant pénalisés en raison de besoins de santé accrus. Les plus modestes bénéficient d'aide à la complémentaire santé (CSS), mais ceux qui sont victimes du saut de seuil renoncent souvent à se soigner par faute de couverture suffisamment protectrice. 5% de la population sont encore dépourvus de complémentaire santé.
En augmentant le niveau de prise en charge, la Grande Sécu permettrait de diminuer le reste à charge, également la part financée par les organismes complémentaires, puisque les personnes ne consommant pas de soins avec dépassements d'honoraires n'auraient pas besoin de mutuelle. Le dispositif universel permettrait de généraliser le tiers payant, qui a fait ses preuves avec les frais liés à la Covid (tests et vaccins), intégralement remboursés sans intervention des complémentaires.
Qui va payer ?
Tout le monde est pour un système plus égalitaire et plus solidaire, en particulier pour les seniors qui paient très cher leur complémentaire santé, mais comment le financer ? La prise en charge des dépenses de santé par la seule Sécu implique une flambée des coûts pour le régime. Le surcoût est estimé à 22,4 milliards dont 3,5 milliards de perte liés à la taxe sur les assureurs. Pour garantir l'accessibilité des soins à l'ensemble des Français, il faudrait renforcer la régulation et des tarifs conventionnés et des tarifs libres. Les organismes complémentaires n'auraient alors que les dépassements d'honoraires à rembourser.
Le financement serait d’abord opéré par les entreprises qui, au lieu de payer une mutuelle à leurs salariés, verraient leurs cotisations patronales augmenter. Il est également question de rehausser la CSG, tout comme la TVA, les impôts et tout autre taxe affectée à la Sécurité Sociale. Selon les projections de ce pré-rapport, 80% des Français seraient gagnants avec la réforme, les plus aisés y seraient de leur poche entre 60€ et 300€ par an.
Au-delà de l'aspect financier, que vont devenir les quelque 500 organismes complémentaires et leurs milliers de salariés si la Sécu détient le monopole de la couverture santé ? Face aux enjeux du vieillissement de la population, tout le monde s'accorde sur la nécessité de réformer le système de santé. Les prémices d'une Grande Sécu agitent les esprits mais sa mise en œuvre n'est pas pour demain.