Plus de 3 millions de logements privés seraient inoccupés en France dont 200 000 vides depuis plus de deux ans. Le phénomène a pris de l'ampleur depuis 2006, et semble indécent alors qu'un grand nombre de Français peinent à se loger décemment. Le 10 février dernier, Julien Denormandie, ministre du Logement et de la Ville, a annoncé le lancement d'un plan national de lutte contre les logements vacants. Un projet a minima qui ne satisfait pas les collectivités locales déjà investies dans cette mission.
La vacance locative, un fléau français
Comment réintroduire sur le marché locatif des logements laissés vacants par leurs propriétaires ? L'ancienne ministre du Logement Emmanuelle Cosse s'était déjà attelée à la tâche, avec la loi "Louer abordable" ou "Cosse ancien" qui permet aux propriétaires bailleurs de bénéficier d'un abattement sur les loyers pouvant atteindre 85% s'ils respectent des plafonds de loyers et de ressources des locataires. L'objectif est de remettre sur le marché des logements privés accessibles à loyers abordables. En parallèle, la ministre avait soutenu courant 2016 la création du Réseau National des Collectivités mobilisées contre le Logement Vacant (RNCLV), fruit d'une collaboration entre l'Eurométropole de Strasbourg, l'Anah (Agence nationale de l'habitat) et une trentaine de grandes agglomérations comme Lyon, Grenoble, Lille ou encore Metz. Le dispositif Cosse aura connu un succès mitigé et sera finalement substitué en janvier 2017 par le Denormandie du nom du ministre actuel. Cette nouvelle loi de défiscalisation immobilière vise à favoriser la réhabilitation de l’ancien dégradé, en particulier en centre-ville. Elle reprend des conditions du Pinel ancien.
Les chiffres des logements vacants montrent en effet que le problème s'est amplifié : selon les statistiques de l'Insee, le taux de vacance était estimé à 8,4% en 2018, soit plus de 3 millions de logements inoccupés et une augmentation de 40% depuis 2008 ! Selon le dernier rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, 4 millions de personnes sont aujourd'hui mal logées ou privées de domicile, tandis que 12 millions souffrent de la crise du logement. Au total, un cinquième de la population est fragilisé par rapport au logement. Des chiffres accablants qui requièrent des solutions concrètes de la part des pouvoirs publics. Une des pistes consiste à résoudre le problème des logements vacants.
Des solutions encore floues... qui déçoivent les collectivités
200 000 logements du parc privé sont inhabités dans les zones dites tendues. L'urgence est de les remettre sur le marché, tout en soutenant la construction neuve. Voilà le nouveau projet du ministère de la Cohésion des territoires et du ministère du Logement. Dans un communiqué commun, leurs ministres respectifs, Jacqueline Gourault et Julien Denormandie, ont présenté lundi 10 février leur plan national de mobilisation des logements et locaux vacants. Ce plan d'action, qui manque pour l'heure de précision, repose sur 2 principes :
- Identifier : utiliser des données jusqu'alors inexploitées pour cartographier la vacance et en comprendre les causes ;
- Inciter : le mystère reste entier ! Utiliser les dispositifs existants (la garantie Visale ou l'assurance contre les loyers impayés, les aides à la rénovation) ou en créer d'autres ?
Si les démarches d'incitation viennent à échouer, les ministres ne s'interdisent pas réquisitionner les logements, en premier lieu auprès des propriétaires institutionnels, banques et assureurs par exemple qui sont nombreux à détenir des bureaux ou des biens d'habitation. Un discours de réquisition est plus difficile à tenir auprès des particuliers, car il est de nature à remettre en cause le droit de propriété, un droit inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dont la valeur a été consacrée par une décision du Conseil Constitutionnel du 16 janvier 1982. Selon la loi, un propriétaire a le droit d’user (usus), de percevoir les fruits (fructus) et de disposer de la chose possédée (abusus), ce qui lui offre a priori une jouissance illimitée. Il a donc la liberté de laisser vacant un bien immobilier qui lui appartient. Le droit de propriété est imprescriptible : l’absence d’usage du bien immobilier ne fait pas perdre au propriétaire son droit.
Les ministres ont prévu d'informer prochainement par courrier les quelque 18 000 propriétaires de logements vacants des solutions possibles. La plateforme de référence, facilhabitat.gouv.fr, mise en place par l'Anah, est d'ores et déjà accessible. Elle a été conçue pour les aider à remettre leur(s) bien(s) sur le marché locatif, leur apportant les informations nécessaires sur la mise en location, la réalisation de travaux et leur parcours de bailleur.
Pour le RNCLV, le compte n'y est pas. Les collectivités mobilisées contre le logement vacant estiment décevant ce plan sur lequel elles ont travaillé depuis un an avec le ministère du Logement. Élu de Strasbourg en charge de l’habitat et président du RNCLV, Syamak Agha Babaei explique que le réseau a contribué à la budgétisation et à l'élaboration d'un plan qui reposait sur un appel à manifestation d'intérêt de collectivités volontaires, avec la création de postes de chefs de projet "logements vacants" cofinancés pour moitié par l'Anah et les collectivités. S'agissant des réquisitions, le scepticisme est de mise, puisque les services de l'État font généralement en sorte de les éviter. Il faudra attendre les résultats des élections municipales et la prise en main des nouveaux élus pour connaître les détails de ce plan national destiné à lutter contre les logements vacants du parc privé.