L'homme adore faire des listes de toutes choses, il se donne ainsi l'illusion de maîtriser. Derrière la liste des locataires mauvais payeurs, la Fnaim entend maîtriser le problème des impayés. Le sujet attise la polémique, la Cnil aurait pourtant donné son feu vert.
Liste noire des incidents de paiement de loyers
Plusieurs acteurs de l'immobilier plaident pour la création d'un fichier destiné à recenser les locataires coupables d'incidents de paiement, à l'image de ce qui existe déjà pour les banques et les établissements de crédit. Révélée par le magazine Capital, l'information a été confirmée par la Fnaim (Fédération nationale de l'immobilier) lors d'une conférence de presse le 16 janvier dernier. Selon les informations de Capital, la fédération travaillerait sur ce projet avec la société Arthel, entreprise financée par un consortium de professionnels de l'immobilier dont la Fnaim, Nexity et Foncia.
Dans le détail, la base de données consignerait les locataires n’ayant pas versé trois mois de loyer, qui ne seraient pas forcément consécutifs. Les mauvais payeurs seraient fichés durant trois ans et leur nom supprimé de cette liste noire dès régularisation. La Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) aurait donné son aval, preuve que ce projet est bien sorti du tiroir.
Le fichier serait consultable et alimenté uniquement par les professionnels, les propriétaires bailleurs n'y auraient pas accès. Contactée par Capital, la Cnil affirme que si ce fichier devait voir le jour, il devra être "encadré par de très fortes garanties" en étant totalement transparent pour les locataires, c'est-à-dire les informer de son existence avant la signature du bail, de leur inscription en cas d'incidents de paiement et de la suppression des données s'ils remboursent les loyers impayés.
Le fichier des incidents locatifs et la loi Nogal : même combat !
Tout cela est au conditionnel, mais ce n'est sans doute pas un hasard si ce projet semble désormais bien engagé. La Fnaim avait ressorti l’idée, qui n'est pas nouvelle, en juin dernier, suite à la publication du rapport Nogal qui vise à sécuriser les relations entre propriétaires et locataires. Mardi 14 janvier, le député LREM Michael Nogal a présenté à la presse la proposition de loi qui porte son nom. Son objectif est de rétablir la confiance entre propriétaires et locataires. Les administrateurs de biens sont les acteurs majeurs du futur dispositif qui sera examiné en première lecture à l'Assemblée Nationale en mai prochain : grâce au nouveau mandat de gestion qu'ils proposeront aux bailleurs, ils pourront garantir le paiement des loyers, quoi qu'il arrive. Le fichier que souhaitent mettre en place la Fnaim serait donc le bienvenu pour permettre aux agences de location de remplir leur mission auprès de propriétaires. Jean-Marc Torrolion, président de la Fnaim, ne s'en est d'ailleurs pas caché, expliquant que "ce projet a l'accord de la Cnil" et souhaitant que "sa mise en place soit concomitante avec le mandat de gestion avec obligation de résultats". Si la proposition de loi Nogal est adoptée, à l'avenir, les administrateurs de biens seront seuls à prendre les risques pour lesquels ils devront s'assurer. Au-delà de réduire les risques, la mise en place du fichier leur permettrait de mieux négocier les tarifs auprès des assureurs.
Le veto des associations de consommateurs
Tout projet doit faire l'objet d'un débat contradictoire. Il n'a pas tardé. Les associations de locataire sont contre l'application d'une telle base de données, que la CLCV, une des plus importantes associations nationales de consommateurs, juge "scandaleuse". La Confédération Nationale du Logement s'indigne elle aussi et envisage de créer un livre noir des bailleurs indélicats. Pourquoi pas un fichier des loueurs qui rechignent ou refusent de rendre la caution à leur locataire ? Dans un courrier adressé au ministre du Logement Julien Denormandie, elle demande le retrait de "ce projet inacceptable et stigmatisant pour l'ensemble des habitants de notre pays". Sur son compte Twitter, le ministre lui-même a exprimé sa désapprobation, "convaincu que la confiance entre propriétaire et locataire ne se construit pas par la mise en place d'un tel fichier". Un avis en opposition avec celui du député Mickael Nogal qui y voit "une bonne mesure s'il s'agit d'un outil de sélection pour les professionnels et non de stigmatisation, si les données personnelles sont protégées et s'il facilite l'accès au logement". Ambiance !
Qu'en pensent les propriétaires bailleurs ? Par la voix de son directeur Pierre Hautus, l'UNPI (Union Nationale des Propriétaires Immobiliers) reproche au fichier de ne s'appliquer qu'aux adhérents de la Fnaim, ce qui limitera sa portée et "aura pour effet de produire de la discrimination positive". Le risque est d'avoir "des locataires de troisième zone dans le parc locatif privé non intermédié". Environ 65% des bailleurs font le choix de se passer d'agence, en raison principalement des frais de gestion élevés prélevés par les professionnels. Nul doute que l'intermédiation du marché locatif s’intensifiera si les mesures de la loi Nogal, doublées du fichier des locataires mauvais payeurs, devaient entrer en vigueur.