Les taux d'intérêts des crédits immobiliers sont actuellement à leur plus bas niveau jamais observé, sur fond de demande en phase de ralentissement. Cela pourrait ne pas durer. Les professionnels anticipent une hausse des taux, plusieurs facteurs structurels et conjoncturels semblent leur donner raison. L'adoption de la résiliation infra-annuelle en assurance emprunteur, pour l'heure hypothétique, ne serait d’ailleurs pas étrangère à cette évolution des taux.
Des conditions d'emprunt exceptionnelles
Le dernier rapport de l'Observatoire Crédit Logement chiffrait le taux moyen toutes durées confondues à 1,05% (hors assurance et coût des sûretés) en septembre 2021, soit le niveau du mois précédent. On tient ici le record absolu depuis 70 ans. Actuellement, plus de 80% des emprunteurs s'endettent à des taux inférieurs à l'inflation.
Sur la durée classique de 20 ans, le taux moyen titrait 0,99%, soit 20 points de base inférieurs au taux de septembre 2020. Sur 25 ans, durée maximale autorisée par le régulateur financier, le taux s'affichait à 1,16%, soit 30 points inférieurs au taux un an auparavant. L'Observatoire indique par ailleurs que depuis décembre 2020 les profils les moins bien dotés (niveaux des revenus et de l'apport personnel) ont bénéficié d'une baisse des taux nettement plus marquée que celle des autres emprunteurs sur les durées les plus longues.
Le crédit à l'habitat n'a jamais été aussi peu cher, ce qui donne la possibilité d'emprunter sur de longues durées. Depuis l'été 2020, la durée moyenne s'est accrue, passant de 222,8 mois au troisième trimestre 2020 à 233 mois au T3 2021. 58,5% des prêts sont désormais accordés sur des maturités comprises entre plus de 20 ans et 25 ans, soit 11 points de plus qu'en 2020.
Tassement de la demande
Malgré la reprise de l'inflation, les banques maintiennent des conditions d'emprunt extrêmement favorables à l'achat immobilier, afin de soutenir la demande de financement des ménages. Personne n'ignore l'engouement sans précédent des Français pour l’immobilier depuis l'arrivée perturbatrice de ce virus Covid-19. L'appétit des Français pour la pierre s'est affirmé après le premier confinement du printemps 2020, le niveau historiquement bas des taux d'intérêts leur donnant l'opportunité de passer plus facilement à l'acte.
Ni les règles d'octroi des crédits immobiliers ni la hausse des prix des logements ne dissuadent les Français de devenir propriétaires ou d'investir dans le locatif. En témoigne le volume des transactions dans l'ancien : 1 155 000 ventes au deuxième trimestre sur un an selon les chiffres des Notaires.
Sur les neuf premiers mois de l'année 2021, le nombre d'opérations dans l'ancien a bondi de 23%, mais les dernières données font état d'un ralentissement de la demande, amorcé durant l'été. Selon le réseau d'agences immobilières Century 21, entre juillet et septembre, les ventes ont reculé de près de 19% sur un an pour les maisons et de 10,6% pour les appartements. Un constat partagé par PAP : le site d'annonces immobilières entre particuliers enregistre une baisse de 37% du nombre de recherches par rapport à l'an passé.
La demande s'essouffle, en raison notamment de la progression constante des prix des logements. Sur un an, les prix ont augmenté de près de 6%. Dans certaines zones, la pénurie d'offres fait grimper le curseur, un effet de rareté qui tire les prix vers le haut, de manière plus nette pour les maisons que pour les appartements.
Millésime exceptionnel pour le marché immobilier, l'année 2021 pourrait se terminer par un coup de frein de l'activité. Nonobstant l'engourdissement de la demande, la dynamique risque de se gripper en raison d'une hausse probable des taux d'emprunt, imputable à plusieurs facteurs.
Retour de l'inflation
Premier facteur d'une remontée des taux d'intérêts, celle de l'inflation. L'indice des prix à la consommation a dépassé les 2% en septembre, contre 1,9% en août. Le taux de l'inflation a surtout progressé de 0,6% sur un mois entre juillet et août, contre 0,1% entre juin et juillet.
L'Insee explique que cette accélération de l'inflation résulterait du rebond des prix des produits manufacturés après les soldes d'été et de la hausse des prix du tabac (+5,1%), auxquels il faut ajouter, et non des moindres, la forte augmentation des prix des produits frais (+6,3% sur un an) et l'envolée des prix des carburants et de l'énergie (+12,7% sur un an).
Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau tient pourtant à rassurer. Ces poussées de l'inflation devraient être temporaires, il n'y a pas de risque de dérapage durable de l'inflation pour la zone euro.
Remontée de l'emprunt d'État
En parallèle d'une reprise sensible de l'inflation, on voit le retour de l'OAT 10 ans en zone verte. L'emprunt obligataire de l'État français sur 10 ans est en territoire positif depuis mi-septembre, et titrait 0,244% le 20 octobre. Il était sous le seuil de 0% tout durant l'année 2020 et jusqu'en avril 2021. Après avoir oscillé autour de 0,20% au début de l'été, il était redescendu sous le seuil de 0% en juillet et août, avant de reprendre une phase ascendante fin août.
Le retour de l'inflation et la montée du rendement obligataire sont corrélées, ou pour s'exprimer de manière économiquement plus exacte, la hausse des taux d'intérêts sur les marchés financiers est la réponse des investisseurs au dérapage des prix à la consommation.
Connaître le niveau de l'OAT français et son évolution permettent d'avoir la tendance sur le mouvement des taux d'intérêts fixes des crédits immobiliers. La politique monétaire des banques centrales est l'autre marqueur. Après avoir massivement soutenu l'économie de la zone euro face à la pandémie de Covid-19, la Banque Centrale Européenne (BCE) a annoncé début septembre une légère réduction de son programme d'urgence de rachat d'actifs (PEPP), mais estimé que la montée de l'inflation est temporaire et que les facteurs déflationnistes structurels sont toujours bien présents.
La BCE maintient inchangé à 0% son taux de refinancement : les banques commerciales continuent donc d'emprunter à un taux de soumission nul, ce qui facilite la distribution des crédits aux ménages et aux entreprises. La BCE subventionne donc les crédits aux banques. Si remontée des taux il y a, elle ne sera que modérée au regard des facilités accordées.
La résiliation infra-annuelle de l’assurance emprunteur en ligne de mire
Le dernier facteur est pour l'heure hypothétique. En novembre, le Parlement examinera une proposition de loi visant à "garantir la transparence et la simplification du marché de l'assurance emprunteur immobilier". Porté par les députés du groupe Agir Ensemble, le texte prévoit de donner la possibilité de résilier un contrat d'assurance de prêt immobilier à tout moment et sans frais après la première année de souscription, tout en renforçant les sanctions à l'encontre des banques qui entraveront le processus de résiliation/substitution.
Si la loi est adoptée, les banques vont brandir la menace d'une volatilité des contrats pour augmenter les taux d'intérêts. Pour compenser les pertes liées à cette réforme attendue des associations de consommateurs, des courtiers et des assureurs alternatifs, les bancassureurs vont inévitablement chercher à se rattraper sur les taux d'emprunt.
Pour l'heure, les taux sont hyper propices à l'achat immobilier. Une éventuelle remontée ne saurait être en aucun cas brutale, les banques ayant à cœur de soutenir une demande encore vive à quelques semaines du bilan annuel. Mais une libéralisation effective du marché de l'assurance emprunteur porte en elle un risque de hausse des taux, plus que tout autre facteur. Pas question pour les banques de céder un point des quelque 87% de parts de marché qu'elles détiennent. À suivre.