Nous vous en parlions début octobre : le fort dynamisme du marché immobilier contribue à l'endettement excessif des ménages, constituant lui-même un risque potentiel pour les établissements de crédit. Dans son rapport, le Haut Conseil pour la Stabilité Financière se disait vigilant, sans pour autant se montrer alarmiste, et lançait dans la foulée une vaste consultation avec les parties prenantes afin de trouver des pistes pour éviter la surchauffe du crédit immobilier. Le journal Les Échos révèle les premiers éléments de ce travail collectif dont le compte rendu, prévu initialement le 4 novembre, a été ajourné pour permettre aux banques d'accorder leurs violons.
La machine du crédit immobilier tourne à plein régime
Banques, courtiers, promoteurs et consommateurs ont été conviés par Bercy à contribuer à une consultation ouverte. Sujet de préoccupation : les taux d'intérêts historiquement bas dynamisent le marché immobilier à des niveaux jamais observés, ce qui induit des risques pour la stabilité financière des ménages et des banques selon les superviseurs français et européens. Dans son diagnostic publié début octobre, le Haut Conseil pour la Stabilité Financière (HCSF), instance placée sous l'autorité du ministère des Finances, mettait en lumière des "signes inquiétants" sur ce marché à plus de 1 000 milliards d'encours, stigmatisant notamment les politiques d'octroi des banques de plus en plus souples (durées allongées notamment). Les taux bas ont une incidence directe sur la rentabilité des établissements de crédit. Pour compenser des marges réduites à la portion congrue, ils jouent sur les volumes, mais c'est loin de suffire. Selon le HSCF, la marge nette des banques sur les crédits immobiliers est "quasi nulle".
Or, le crédit immobilier est le produit d'appel par excellence pour une banque, car il facilite la vente d'autres produits et services nettement plus rentables, comme l'assurance emprunteur pour ne pas la nommer. Pour damer le pion à une concurrence très agressive, les établissements proposent des taux d'intérêt toujours plus attractifs dans l'espoir de se rattraper sur le reste.
Les chiffres suivants illustrent l'évolution du crédit immobilier ces dernières années :
- L'encours de crédit à l'habitat est passé d'un peu plus de 200 milliards d'euros en 1993 à près de 1 200 Md€ en 2019.
- Sur un an en août, la production de crédits immobiliers a augmenté de 6,5%.
- Le taux moyen des crédits est tombé de 5% juste avant la crise de 2008 à 1,30% aujourd'hui (hors assurance et coût des sûretés).
- La marge brute des banques s’est contractée de 2% à 0,8% entre 2008 et 2019.
- Le taux d'endettement moyen des nouveaux prêts représente actuellement plus de 5 années de revenus contre un peu plus de 3 au début des années 2000.
- La durée moyenne des nouveaux prêts avoisine les 20 ans contre moins de 15 ans en 2001.
Mieux vaut prévenir que guérir
Les banques n'expriment de leur côté aucune inquiétude particulière et assurent ne pas avoir modifié leurs critères d'octroi. Elles seraient même en train de les durcir selon certains courtiers qui observent sur le terrain une réelle tendance à sélectionner plus finement les dossiers. Comme elles ont atteint voire dépassé leurs objectifs de production de crédit pour 2019, les banques ferment légèrement le robinet et filtrent les demandes de financement. Selon Frédéric Oudéa, patron de la Fédération Bancaire Française, aucun risque de surchauffe n'est observé dans le domaine du crédit immobilier. Il n'empêche, le HSCF, dont le rôle est de prévenir un risque systémique, pourrait livrer prochainement plusieurs recommandations pour éviter un surendettement des ménages et préserver la rentabilité des banques.
Première piste évoquée, encadrer le taux d'effort. Si le taux d'endettement maximum communément admis par les établissements de crédit est de 33%, il ne fait l'objet d'aucune réglementation. Dans un contexte de taux très faibles, il a tendance à augmenter comme en témoignent les chiffres de la Banque de France : fin 2018, il atteignait un peu plus de 30%, et aujourd'hui, un nouvel emprunteur sur quatre s'endette au-delà de 35%. Le régulateur pourrait obliger les banques à respecter le plafond de 33% comme il l'a fait l'an passé pour le crédit aux grandes entreprises.
Le HSCF pourrait aussi être tenté de vouloir limiter les rachats de crédit immobilier. La réglementation autorise l'établissement initial à facturer des frais de remboursement anticipé, soit 3% du capital restant dû ou 6 mois d'intérêts, le calcul le plus intéressant étant en faveur de l'emprunteur. Avec les taux bas, ces pénalités ne sont plus dissuasives. En rehaussant le plafond des 6 mois d'intérêt, les emprunteurs seraient moins tentés d'aller voir ailleurs et renégocier leur crédit immobilier.
Dernière piste, et non des moindres, relever le taux de l'usure. La logique mathématique veut en effet que les seuils de l'usure baissent eux aussi, au rythme des taux d'emprunt, puisqu'ils sont définis par rapport aux crédits octroyés le trimestre précédent. Pour mémoire, le taux d'usure représente le Taux Annuel Effectif Global (TAEG) au-delà duquel les banques ne sont pas autorisées à prêter.
Ce TAEG comporte tous les frais, en plus des intérêts d’emprunt, réclamés à l'emprunteur pour lui accorder le financement. Certains professionnels proposent d'ôter l'assurance emprunteur du TAEG. Aujourd'hui, l'assurance peut représenter plus d'un tiers du coût global d'un crédit immobilier, et pour certains profils à risques (seniors, personnes malades), elle peut se révéler plus chère que les intérêts. Il est pourtant peu probable que les autorités retiennent cette idée, car l'assurance, indispensable pour sécuriser un prêt à l'habitat, est un gage de stabilité financière. La problématique des taux de l’usure n’est pas nouvelle. Nombreux sont les professionnels, en particulier les courtiers, à réclamer ces dernières années une réforme de la méthode de calcul pour éviter d’exclure du crédit des profils solvables pénalisés par les risques qu’ils incarnent (profession, santé).
Les futures recommandations du HCSF sont vivement attendues, car elles auront une influence sur la production de prêts à l’habitat de l’année 2020. Au-delà des chiffres record, le millésime 2019 restera peut-être dans les mémoires pour avoir bousculé les conditions d’accès au crédit.
source Les Échos